Rappel important du jour : si, en tout domaine (civil, pénal, administratif même), la justice vous demande des preuves, ce n’est pas qu’elle ne vous croit pas et pense que vous êtes un menteur (ou une menteuse) : c’est que la loi lui interdit de se fonder sur votre seule parole.
Rien de personnel donc. C’est la règle depuis les Romains : actori incumbit probatio, reus in excipiendo fit actor. C’est à celui qui a une prétention de la prouver, et celui qui invoque un fait pour se défendre doit lui aussi le prouver.
En droit civil, on dit que ne pas pouvoir prouver qu’on a un droit revient à ne pas avoir ce droit. Et la majorité des procès civils se jouent sur un problème de preuve. Voilà pourquoi votre avocat est obsédé par les pièces qu’il vous demande de lui envoyer.
Au pénal, c’est un poil différent, mais pas tant que ça. En apparence, la majorité des procès pénaux tournent autour de la peine qui va être prononcée. Les faits sont la plupart du temps établis et même reconnus.
NB : la question de la peine à prononcer est une question aussi juridique que celle de la culpabilité et parfois plus complexe, le législateur y veille.
Mais cette différence dans le prétoire est trompeuse. Le demandeur est le parquet, la plupart du temps. Il a donc préparé son dossier en amont puisqu’il dirige les enquêtes, ou a chargé un juge d’instruction de la faire pour les plus complexes et les plus graves.
La question de la preuve de la culpabilité a été traitée en amont, lors de cette phase d’enquête. C’est pour ça que les avocats râlent qu’elle soit si peu contradictoire hors instruction, mais c’est un tout autre débat.
Le parquet est composé de magistrats, qui sont de fins juristes (ils sont presque aussi bien formés que les avocats, poke Mme la vice procureure de Bastia), et savent quand un dossier contient la preuve de la culpabilité, ou si ce point mérite un débat public et contradictoire.
Nb : la preuve de la culpabilité implique d’avoir identifié la personne ayant commis les faits. On peut juger les absents, on ne peut pas juger les inconnus.
Et contrairement au président des Etats-Unis, les juristes n’aiment pas les combats perdus d’avance. Quand un dossier ne permet pas d’être raisonnablement soutenu devant un juge, on n’y va pas. On ne doit pas y aller. Un avocat doit au besoin résister aux exigences de son client.
C’est le sens du principe essentiel d’indépendance de notre serment : indépendance y compris à l’égard du client. Et un avocat, ou un parquetier qui ne respecterait pas cette règle s’exposerait à une rebuffade cinglante du tribunal.
C’est très désagréable et pour un avocat, et terrible pour sa réputation, qui est son principal actif. Et perdre est aussi désagréable pour le client (qui peut même être condamné au civil à indemniser son adversaire, au pénal, le plaignant est protégé).
Or nous sommes censés protéger notre client(e). Dans une telle hypothèse, nous avons failli. Certains confrères, indignes de leur serment, ne semblent pas s’en émouvoir tant que la facturation est honorée. On les connait. Les juges aussi.
Donc quand un parquetier estime que tout a été fait et que les éléments réunis ne sont pas suffisants pour être susceptibles d’entraîner l’intime conviction du juge, ils classent sans suite. La mort dans l’âme, parfois. Si vous voulez la paix de l’esprit, ne faites pas magistrat.
NB : il y a aussi des classements sans suite même quand les preuves sont suffisantes, mais là cela relève de la politique pénale dont le parquet a la charge : choix d’une alternative aux poursuites, faits d’une infime gravité qui ont été réparés, comportement de la victime, etc.
N’oublions pas que l’action publique (qui vise à sanctionner l’auteur d’une infraction) appartient au parquet et à lui seul. Pas à la victime, qui a sa propre action (dite civile) qu’elle peut au besoin porter devant une juridiction civile.
Il prend en compte la position de la victime, mais n’est jamais tenu de la suivre, que ce soit si elle souhaite des poursuites, ou si elle souhaite leur arrêt (sur ce dernier point il y a des exceptions, en matière de délit de presse notamment).
Et si vous vous placez dans le camp de la victime, ce qui est une cause très noble, vous trouverez toujours choquant que le parquet estime ne pas devoir ou ne pas pouvoir poursuivre. Mais n’oubliez pas que c’est vous qui avez choisi votre point de vue, au sens propre.
NB final : je ne vous expose pas mon opinion. Je vous explique l’état du droit.
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