Je pense que la gauche devrait débattre et réfléchir sur le Revenu Universel, parce que tout simplement des millions de personnes en France sont condamnées au sous-emploi ou carrément expulsées du marché du travail, et qu'attendre simplement que le problème du chômage soit réglé
(s'il l'est un jour) condamnera ces millions de personnes à des années de pauvreté et de précarité. Et ils n'ont pas le temps d'attendre, à mon avis.

De plus, la France par exemple subit depuis 4 décennies une dynamique qui voit les emplois les moins qualifiés être délocalisés
hors de France ou a minima expulsés du salariat protégé vers la sous-traitance. Cette part significative des classes populaires n'a que peu de recours et de moyens d'organisation pour résister à ce rouleau compresseur, appartenant aux pans les plus désyndicalisés et les plus
abandonnés à eux-mêmes du salariat, voire étant carrément expulsée du salariat. Il me paraît naïf de croire pouvoir redonner du travail dans des conditions émancipatrices à cette partie de la population à court voire moyen terme et il faut donc en attendant lui assurer un minimum
de sécurité existentielle en lui assurant de quoi se loger et se nourrir.

Commençons par écarter tout ce qui est mauvais et doit à tout prix être écarté : ce revenu ne doit pas être conditionné à une activité ou à la recherche d'une activité pour ne pas
faire subir une inquisition permanente à ceux qui en bénéficient, il est hors de question qu'il se substitue aux allocations logement, familiales ou à la protection sociale (il doit être versé en plus et non en remplacement.)

A minima, il faudrait déjà dégager le RSA de sa
logique de surveillance des bénéficiaires : on ne compte plus les cas de Rsastes harcelés pour un chèque d'anniversaire de mamie ou subissant un contrôle de leurs comptes violateur de leur dignité et de leur intimité. Il faudrait enfin mettre en place un système d'attribution
automatique pour régler le problème des non-recours : des millions de personnes ont le droit à cette aide et ne la demandent pas. L'inconditionnalité permettrait enfin à des millions de personnes de sortir d'un système de contrôle et de reprendre une part d'autonomie et de
contrôle sur leurs vies, sans voir l'œil de la surveillance s'abattre sur eux. Il faudrait aussi ouvrir le RSA aux 18-25 ans et aux étudiants pour enfin permettre à ceux issus des classes populaires d'étudier sans avoir à se faire exploiter dans des jobs mal payés et peu
épanouissants.

Ensuite, un des principes de ce revenu est qu'il devrait être universel, pour une raison centrale à mon avis : désamorcer la stigmatisation des plus
vulnérables en empêchant qu'on les traite d'"assistés" puisque tout le monde bénéficierait universellement de la même prestation.

C'est là qu'on arrive au cœur de la problématique : nombreux sont ceux qui craignent (et c'est une crainte tout à fait légitime) que ce revenu soit
une occasion pour les employeurs de baisser les salaires en prétextant l'existence de ce revenu et qu'il désorganise le rapport de force salarial au profit du patronat.

C'est surtout là que le débat doit avoir lieu à gauche à mon avis. Je suis de ceux qui pensent que le
rapport de force salarial est à l'heure actuelle et pour un moment largement en faveur des employeurs et des actionnaires. Nul besoin de grandes démonstrations puisque depuis des décennies et partout dans le monde la part de la valeur ajoutée produite consacrée à la rémunération
des travailleurs baisse tandis que celle consacrée à la rémunération du capital monte en flèche. Je serai de ceux qui pensent qu'un revenu universel permettrait aux salariés de récupérer une puissance politique en leur offrant un revenu minimal durant les grèves ou en réduisant
sur eux le chantage à l'emploi et les pressions patronales en leur offrant une sécurité financière minimale.

Ce que je crains, c'est que la vieille matrice de gauche concernant la lutte salariale soit rendue caduque par les évolutions récentes du capitalisme mondialisé.
S'il existe toujours un conflit fondamental entre travailleurs et détenteurs du capital, ses formes fondamentales ont grandement évolué, privant durablement une part importante des classes populaires de leur statut et de leur identité de travailleurs. Pour l'avoir vécu
personnellement en y intervenant, parler dans les quartiers populaires du chômage crée facilement une fracture au sein des classes populaires entre ceux qui appartiennent encore au salariat et ceux qui subissent le précariat ou sont carrément exclus du marché du travail, les
reléguant dans la stigmatisation, l'inexistence sociale et politique.

La gauche n'a jamais eu d'existence politique sans être soutenue par les classes populaires. Or, les scrutins se succèdent et les classes populaires, cœur de la gauche, l'ont largement désertée. Je dirai que
ça n'a rien d'illogique : en se centrant sur un rapport salarial dont un nombre croissant de nos concitoyens sont exclus ou auquel ils sont soumis dans des conditions qui ne leur laisse aucune possibilité de lutte émancipatrice, la gauche n'a tout simplement rien à leur proposer.
Alors réfléchissons et débattons.
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