Imaginez : Un “sceptique”, “debunker” bien connu, ne vérifie pas les a priori qu'il appose à une information et étale à la place ses fantasmes sur Twitter.
Oups. C'est une réalité, mise en avant par @TeleCrayon. Mais approfondissons, c'est intéressant. 🔽
https://twitter.com/TeleCrayon/status/1360904471065341955
Déjà, la source que notre “debunker” partage parle-t-elle d'utiliser “la couleur de peau” comme “critère de sélection” ? Non. Juste de “revoir [les] critères de recrutement”.
Pour en savoir plus, il faut passer quelques secondes à chercher des infos. Quelles sont ces révisions ?
Au jour du tweet, on serait vite tombé sur un titre du Point : “[…] pas de quota, mais…”. Ah.
Surtout, en creusant, on trouve alors que le sujet de l'info est la sortie d'un rapport. De quoi parle-t-il ?
Spoiler : Pas de ce qu'imagine notre “debunker”.
https://res.cloudinary.com/opera-national-de-paris/image/upload/v1612796873/pdf/ytqct0ielyf6gdgb9npu.pdf
Pour faire vite, le rapport résume ses 19 recommandations. Aucune n'est de “recruter les candidats selon des critères raciaux”. (Le plus proche qu'on ait, c'est “démarcher de manière active […] des artistes non blancs de haut niveau”.)
Mais creusons un peu ce rapport. 👇
Ce rapport part d'abord d'un regard sur l'histoire de l'opéra et du ballet occidentaux — une histoire inévitablement teintée du racisme de son temps, racisme hérité dans les œuvres, les représentations, et les normes qui se sont installées.
(On parlera sélection plus loin. 😉)
Il est donc notamment question de rendre ce paysage culturel moins “si blanc” et moins raciste, favoriser l'évolution de ses normes, et diversifier / en diversifiant les représentations et les œuvres (au-delà des œuvres et mises en scènes du 19è siècle).
Le rapport invite aussi à ôter les termes racistes (notamment dans les intitulés des programmes), à mettre fin à des pratiques racistes (ex. blackface et yellowface), ou faisant de la peau blanche un idéal (ex. blanchir la peau des danseur·se·s).
Sur ces idées d'adresser et d'améliorer le corpus présenté par l'Opéra, le rapport répond à la réaction courante qu'est d'y craindre de la censure (p.11-13). Il n'est, d'abord, pas question de produire l'interdiction administrative d'œuvres ou de représentations.
Certaines pratiques sont certes devenues inacceptables sans regard critique, mais ce que le rapport propose c'est d'opérer une réflexion active et concertée à la recherche de solution. Il peut par exemple s'agir de moderniser la mise en scène, ou encore de contextualiser l'œuvre.
Ça, c'était pour le corpus de ce que présente l'Opéra de Paris.
Le rapport constate aussi un manque de diversité dans le personnel de l'Opéra de Paris (et pas que), à tous les échelons, et se penche sur divers facteurs maintenant cette situation.
Il est d'abord question de l'idée transmise à des populations que l'Opéra n'est pas pour elleux. Lutter contre passe par l'amélioration du corpus (☝️), mais aussi par la mise en avant de modèles racisés, passés comme présents, sur scène, à la production, sur les réseaux sociaux…
Ne pas donner l'impression de ne pas avoir sa place, c'est aussi un problème pour celleux déjà à l'Opéra. Il faut s'assurer d'avoir des outils, des moyens et du matériel adapté aux racisé·e·s : maquillage et collants aux bonnes couleurs, coiffeur·se·s formés aux cheveux crépus…
Pour ce qui est de la sélection (enfin !), du concours, le rapport ne propose à aucun moment de favoriser une couleur de peau. Loin de là, même !
En revanche, il questionne les biais dans les processus de sélection, y compris liés aux situations socioéconomiques.
Ainsi, la plus grosse “révision” proposée est certainement la mise en place de sélections délocalisées, exploitant les moyens numériques, pour être accessibles aux familles modestes loin de Paris pour lesquelles le voyage pour un tel concours représente un coût majeur.
Dans une optique toute aussi matérialiste, le rapport propose aussi d'adapter la formation de l'Opéra pour élargir les opportunités de carrière à la sortie, qu'elle n'offre pas qu'un gros risque d'être sans emploi, risque intolérable pour bien des gens issus de familles modestes.
Et il insiste : aller vers les élèves pour lutter contre l'impact des stéréotypes, s'organiser avec les organisations locales, revoir la place de l'enseignement musical, offrir l'accompagnement nécessaires au plus défavorisés, mener des programmes de démocratisation culturelle…
Enfin le rapport pousse à tourner un regard critique vers les communications passées, créer des postes pour mettre en place et organiser les stratégies d'amélioration, opérer un suivi de la situation pour les guider, faciliter le signalement de comportements racistes et l'action.
Que retenir de tout cela ?
D'abord, la manière dont notre “debunker”, comme d'autres, n'a pas hésité à claquer ses a priori sur cette info sans creuser avant de s'en plaindre sur Twitter.
Soyons clair : on est sur un comportement de réac, et loin de tout “scepticisme”.
Soulignons aussi, à la lecture des réponses, que ce tweet participe aussi à désinformer.

Précisons que plusieurs réponses sont venues annoncer une erreur — de celles-là, je ne mets que celles datées du même jour que le tweet —, et plusieurs jours après le tweet n'a pas bougé.
L'autre motivation de ce thread, c'est le rapport lui-même, qui interroge bien des aspects systémiques des inégalités raciales qui l'intéresse, et propose en réponse des correctifs dont aucun n'est de la “discrimination positive” au concours (sans dire que ce serait un mal).
En plus de bousculer comme on l'a vu les a priori des réacs, c'est un exemple intéressant en termes de réflexions et pratiques antiracistes, et reposant sur une reconnaissance d'aspects systémiques du racisme, ainsi qu'une volonté à interroger son passé et ses pratiques.
(La “reconnaissance d'aspects systémiques”, pour celleux qui s'interrogent sur le terme, c'est par exemple quand on reconnaît que le manque de diversité est favorisé par la rareté des figures racisées, l'idée d'élitisme culturel, ou encore que le concours soit juste à Paris.)
Au passage tenez, soulignons qu'analyser et reconnaître l'héritage d'un passé raciste dans nos pratiques et représentations culturelles, et chercher ainsi à corriger, ça fait partie de ce qu'on appelle parfois “décoloniser” nos pratiques, nos imaginaires… C'est pas un gros mot.
PS : La réaction à la critique est arrivée depuis, je la partage donc.
D'emblée, une démonstration par l'absurde, c'est pas ça. Et si le propos est vrai, reste la désinformation exposée plus tôt.
Quant au reste, je vous laisse juger.
You can follow @Bunker_D_.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

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