Un livre parlant de sûreté des installations nucléaires et de la tenue des cuves lors d’un choc froid, ça donne envie… de faire un thread !

http://www.global-chance.org/Parution-Surete-et-securite-des-installations-nucleaires-civiles

Ça va être un poil technique... ⬇️
La démonstration de l’absence du risque de rupture brutale des cuves est un élément de la poursuite de l’exploitation au-delà de 40 ans. Cette démonstration comporte, entre autre, un volet relatif à l’effet de l’irradiation sur les propriétés mécaniques de la cuve.
Le livre « Sûreté et sécurité des installations nucléaires civiles » vient de paraître récemment, dans lequel T. De Larochelambert (membre de Global Chance), analyse le risque de rupture de la cuve.
Ce sujet est complexe et multidisciplinaire : l’auteur se focalise principalement sur la relation entre la fluence reçue par la cuve et son impact sur sa ténacité (i.e. la résistance à la propagation de fissures existantes lors d’un « choc froid »).
Les éléments techniques apportés par l’auteur pour justifier sa vision du « dossier cuve », et donc les conclusions qu’il en tire afin de donner sa vision de la sûreté des réacteurs exploités par EDF sont disponibles dans l’article fourni dans les sources de ce thread.
Ce thread propose une revue des éléments apportés par De Larochelambert. Il n’est nullement question d’attaquer l’auteur pour ses convictions sur le nuc, mais juste d’apporter des éléments factuels. Toutes les sources utilisées sont listées en fin de ce thread.
Tout d’abord, un peu de contexte. Pour caractériser les effets du flux neutronique, quatre capsules contenant des éprouvettes issues du même matériau que la cuve ont été disposés initialement en périphérie du cœur dans chaque cuve.
Ces éprouvettes reçoivent un flux de neutrons supérieur à celui reçu par les parois de la cuve, ce qui permet d’anticiper les mécanismes de vieillissement de l’acier. Deux nouvelles capsules ont été introduites en cuve à partir des années 2000 pour compléter les résultats.
Les analyses mécaniques font intervenir en donnée d’entrée la température de transition entre les modes de rupture fragile et ductile de l’acier de cuve, notée « RTndt » ; cette température augmente avec la fluence de la cuve (quantité de neutrons cumulée reçue (n/cm2).
Les propriétés méca d’une cuve irradiée sont alors déterminées via l’analyse des éprouvettes placées dans les réacteurs. Ce sont les résultats du Programme de Surveillance de l’Irradiation (PSI) réalisé par EDF.
En parallèle, une sélection des transitoires (brèches sur le circuit primaire et secondaire) les plus pénalisants pour chaque catégorie de situation (les situations sont classées par catégories suivant leur probabilité d’occurrence) est réalisée.
Une analyse thermohydraulique de ces scénarios est réalisée et vise à calculer l’évolution de la pression et de la température (dans les parois de la cuve) afin de définir les chargements thermomécaniques sur les viroles de cuve.
L’analyse du risque de rupture brutale des cuves est alors réalisée pour les défauts dans les viroles de cœur et les soudures associées, détectés lors des contrôles réalisés.
Des calculs sont aussi réalisés en considérant un défaut générique qui représente tout défaut potentiellement non détecté par ces contrôles et positionné à l’endroit le plus pénalisant (flux neutronique maximal, pire orientation…).
Pour prévenir la rupture brutale de la cuve, le « chargement » vu par le défaut doit rester inférieur à la « capacité » du matériau à résister contre l’amorçage du défaut.
Dans la pratique, il est vérifié que le facteur de marge (intégrant des pénalités) reste supérieur 1.
On constate donc que la fluence n’est pas l’alpha et l’oméga du dossier cuve. Ce n’est qu’un paramètre dans une analyse complexe. Pourtant, De Larochelambert base son analyse principalement sur ce paramètre.
Avec les gestions envisagées à la conception, il était estimé une fluence de 7,5E19 n/cm2 après 40 ans d’exploitation. Ce calcul a été réactualisé au bout de 15 ans pour fournir la fluence historique de 6,5E19 n/cm2.
En optimisant les gestions combustibles, cette fluence historique a été réduite entre 20 et 40%. En se basant sur cette figure (SFEN 2001), on constate que la fluence est aujourd’hui < 6E19 n/cm2.
Cet ordre de grandeur est confirmé par un rapport du GSIEN sur Fessenheim 1 :
Revenons maintenant à l’article de De Larochelambert. Il suggère que l’approche retenue pour estimer l’effet de l’irradiation (ne comptabilisant que les neutrons d’énergie > 1 MeV) peut introduire un biais dans projections qui peuvent être faites.
Cela est faux, comme rapporté par le HCTISN :
L’auteur se base ensuite sur un rapport de l’ONRL de 2019 pour mettre en évidence un effet falaise sur le comportement des matériaux au-delà d’une fluence de 6E19 n/cm2.
Il laisse entendre que ce sont de récents travaux, ce qui peut facilement être interprété comme « des travaux dont EDF et l’IRSN n’ont pas eu connaissance et qui seraient à même de remettre à plat l’intégralité du dossier cuve et la sûreté des réacteurs »
En fait, ce rapport de 2019 est en une synthèse des travaux réalisés les 10 dernières années par l’UCSB et l’ONRL. Il n’y a donc pas de scoop ou de nouveauté qui serait inconnue des experts français du sujet.
L’auteur justifie l’effet falaise apparaissant au-delà de 6E19 n/cm2 par le fait que la croissance de précipités augmente au-delà de cette fluence. Ce qui n’est pas du tout pareil (de plus, le choix de ce seuil de fluente sur la base de la courbe ci-dessous est discutable).
D’ailleurs, dans le rapport de 2019 de l’ONRL, il est évoqué que le comportement des matériaux irradiés (plus spécifiquement le RTndt en fonction de la fluence) suit un comportement similaire sur une plage de 3 à 14E19 n/cm2.
Or, ça doit faire plus de 10 ans que la fluence de cuves de EDF a dépassé 3E19 n/cm2, sans qu’un effet falaise ne soit observé sur leur ténacité. Le choix d’exhiber du rapport ONRL une fluence de 6E19 n/cm2 ressemble plus à du cherry picking dans le cas présent.
Il n’en demeure pas moins que pour les niveaux de fluence des cuves du parc français, l’ONRL estime que la dépendance entre le RTndt et la fluence est linéaire alors que les modèles utilisés en France indiquent une dépendant à la (fluence)^0,59.
L’auteur trace donc (voir courbe verte) une courbe d’évolution du RTndt en utilisant une tendance linéaire pour des fluences supérieures à 6E19 n/cm2, et estime qu’elle « colle mieux » aux mesures du PSI.
Quelques commentaires sur ce tracé. Le fait de choisir une loi linéaire au-delà de 6E19 n/cm2 n’est pas du tout ce que suggère l’ONRL. Pour rappel, ils proposent une dépendance linéaire entre RTndt et fluence à partir de 3E19 n/cm².
Le fait que l’auteur trouve sa loi de tendance meilleure que celle utilisée par EDF est un jugement purement qualitatif… Et si on admettait qu’elle était juste, elle mettrait en défaut la formule EDF uniquement au-delà de 8E-19 (fluences > à celles obtenues en VD4+10ans).
Voici la conclusion faite par T. De Larochelambert :
Ce qui est présenté est triplement faux : les travaux de l’ONRL ne sont pas nouveaux, ils n’indiquent pas que la RTndt augmente significativement à partir de 6E19 n/cm2, et la fluence actuelle du parc n’est pas supérieure à 6E19 n/cm2.
Les conclusions qu’il tire dans la suite de l’article (choc froid sur cuve, entrainant un accident grave « de type Fukushima ») sont donc tout à fait hors propos.
Concernant le niveau actuel de la fluence du parc EDF (et sa projection), l’avis IRSN/2018-00295 (Dossier cuve – Viroles de coeur – Poursuite de l’exploitation jusqu’à la VD4+10 ans du palier 900 MWe) est instructif :
Bien entendu, comme indiqué au début de ce thread, il n’y a pas que la fluence dans le dossier cuve. C’est un élément important, mais ce n’est pas le seul. Il subsiste encore des points faisant débat entre EDF et l’IRSN, mais pas ceux soulevés par De Larochelambert.
Pour ceux qui souhaitent lire d’autres analyses sur le dossier cuve, il y a par exemple l’avis IRSN n°2020-00053 (Position de l’IRSN à l’issue de son expertise de la phase générique du réexamen VD4 900) :
Ou encore l’avis IRSN n°2019-00221 : Poursuite de l’exploitation des réacteurs de 900 MWe jusqu’à la VD4+10 ans. Instruction du dossier cuve - viroles de cœur.
J’espère que vous aurez ainsi compris que la fluence n’est pas le paramètre le plus important du dossier cuve. Et dépasser la fluence historique de 6,5E19 n/cm2 n’est pas une limite physique infranchissable.
On peut très bien imaginer garantir la sûreté d’une cuve en cas de choc froid avec des fluences supérieures à la fluence historique (limitation/suppression du suivi de charge, augmentation de la température minimale de l’injection de sécurité…).
D’ailleurs, aux US, plus de 80 réacteurs ont été autorisés à être exploité plus de 60 ans. Il est même envisagé d’en exploiter certains jusqu’à 80 ans. Ils ont pourtant connaissance des rapports de l’ONRL, comme quoi…
Ce thread est long, très long (trop long ?). Mais le sujet est important, et le choix de prolonger les centrales doit se faire sur une interprétation correcte des éléments techniques existants. Merci à ceux qui sont arrivés à bout de ce thread !
Rapport de synthèse de travaux menés sur les 10 dernières années à l’ONRL (dispo sur internet) :
Light Water Reactor Sustainability Program “A Reduced Order Low Flux-High Fluence RPV Steel Irradiation Induced Transition Temperature Shift Prediction Model”
You can follow @Theo_Fanous.
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