🔖 THREAD – Le blasphème : qu'est-ce que c'est ? comment c'est apparu ? comment ça s'articule ? est-ce que ça existe en France ?
DISCLAIMER : tout ce qui est écrit ici a seulement une visée informative et éducative

je ne suis pas une professionnelle mais juste une personne intéressée ! Aucune haine envers les anticléricaux ou les religieux ne sera tolérée.
Le blasphème, c’est quoi ?

Selon les dictionnaires modernes comme le Larousse, Linternaute ou même le CNRTL : c’est l’outrage à la religion et tout ce qui est sacré.
Même dans l’édition de 1694 du dictionnaire de l’Académie Française, le blasphème est une parole « impie ». On est déjà sur un sens religieux.
Mais, comme c’est précisé alors, le mot vient d’une racine grecque βλασφημία qui voulait seulement caractériser une parole: l’injure, le dommage fait à qlqn/son image.

Comment ça se fait que ce mot ait dérivé, pour prendre ce sens exclusivement lié au fait religieux ou sacré ?
Dans l’ouvrage de P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, on trouve que le terme a petit à petit glissé à cause des monothéismes...
Au tout début avec les juifs et leur utilisation la plus proche de ce que l’on peut traduire par « mépris », « reproche » (נאצה (ne'atsah)), ou « rejeter avec dérision » (נָאַץ (na'ats)), ici, en parlant d'insolence...
et ensuite avec le Nouveau Testament, dans la Vulgate (version latine de la Bible, IVe) en utilisant l’équivalent d’« opprobres ». Dans ces écrits, le fait religieux étant une partie intégrante de la vie des croyants, tout était lié à Dieu, sa volonté et son dessein.
Ainsi, beaucoup de paroles, jugées calomnieuses, offensantes, ont été petit à petit mêlées à la contestation de Dieu et sa volonté, pour finalement adopter son sens final lors de la latinisation de nos langues, avec un référentiel tiré des livres religieux.
On retrouve plus tard le terme de BLASPHEME dans de nombreuses Bible, comme celle de Genève, de 1669.
Bon, une fois qu’on a avalé ce mot, voyons un peu ce qu’en disent : les religions.

Dans le judaïsme, comme dit précédemment, le sens premier avait plus une vision politique du blasphème, puisque l’on condamnait « celui qui porte atteinte à la communauté »
Ceci dit, les écrits sont plus précis que cela : la Loi juive (basée principalement sur le Talmud et la Bible hébraïque) punit de mort l’invocation du nom de Dieu « en vain », action blasphématoire selon eux.
Le Talmud, quant à lui plus précisément, parle de blasphème punit par la mort lorsqu’on humanise Dieu. Par cela, on peut y mettre la représentation de Dieu, son idolâtrie.
Dans le christianisme, c’est plus une évolution.
Déjà, tout commence avec Jésus, son « blasphème » selon les juifs, sa mise à mort. Mais finalement, au début, bah ce n’est que le « péché contre l’Esprit », ou le déni de Dieu et de son pardon.
L’Eglise ne prévoit pas grand-chose contre les autres types d’injures contre la religion… Jusqu’au : Moyen Age.

Au Moyen Age, ça se durcit, ça se corse : on commence à trouver des passages de la Bible « insultants » envers Jésus...
et l’insulte blasphématoire commence à s’étendre aux faits sacrés. D’ailleurs, en 1244, une commission de théologiens chrétiens va condamner le Talmud à être brulé.

Petit à petit, la religion s’immisce dans la politique, la culture et la science...
on commence à rajouter des choses à la liste : représentations, insultes, livres, dessins, pièces de théâtres, hypothèses médicales niant certains principes religieux… Tout y passe.
Mais, au XVIIIe, par ras le bol, les mouvements anticléricaux commencent à réellement contester la perte de liberté d’expression. Je vous laisse consulter mon thread sur l’anticléricalisme pour voir comment ça s’est terminé. https://twitter.com/jsuisderetour69/status/1349862154766327809
Et pour l’Islam, l’Imam de Bordeaux dit que le blasphème n’a pas d’équivalent, on parle plutôt « apostasie » : renier sa religion publiquement. Mais, selon les imams, selon les pays, selon les cultures, selon les périodes historiques, selon les fatwas, renier sa religion...
et bien, ça prend plusieurs formes. Du dessin à la raillerie d’un prophète, tout est condamné. Voici une petite liste des choses qui sont susceptibles de « prouver le reniement »
Les châtiments vont également dépendre des critères cités ci-dessus, du châtiment corporel à la mort.
En France, on en est où?

Alors, la DDHC de 1789 et les Art. 10 et 11 protègent la liberté d'opinions. Cependant, comme on l’a vu dans le thread sur l’anticléricalisme, l’Eglise catholique a tenté, via des lois, de maintenir un contrôle sur la liberté d’exprimer ses opinions.
Par exemple, en 1819, on voit apparaitre le « délit d’outrage à la morale publique et religieuse ». Et oui ! la société étant majoritairement croyante, une publication blasphématoire consistait bien une atteinte à la morale publique. Ils sont astucieux ces religieux…
Mais comme on l’a déjà vu, les anticléricaux, antireligieux, ou simples athées qui voulaient pouvoir dire et penser ce qu’ils voulaient, ont commencé à manifester leurs volontés d’une décléricalisation des lois.
Qu’est-ce qu’il en est aujourd’hui ?

Aujourd’hui, à l’heure où je rédige ce thread, le blasphème N’EXISTE même PAS en France, et ce, pour deux raisons : la Constitution et la Loi.
Notre constitution

L’Art. 1 dit « la France est une République indivisible et laïque » : L’Etat se refuse à reconnaitre les croyances
L’Art. 11 dit que tous les citoyens ont le droit le plus souverain d’avoir des opinions, des (non)croyances, et d’être protégés pour celles-ci
La loi

La loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la presse : un texte fondateur de notre liberté d’expression moderne et notre définition de la laïcité : elle autorise la publication par respect des opinions de chacun, et supprime la notion de blasphème de notre droit.
Il est important de noter que cette loi a été amendée par la loi Pleven de 1972, en créant une limite à la liberté d’expression : il crée le délit d’injure publique, de diffamation et de provocation à la haine en raison d’une appartenance religieuse, ethnique, nationale, etc.
Ces deux lois mettent une limite claire à la liberté d’expression : on peut dire ce qu’on veut sur des idées mais on ne peut pas attaquer injustement des êtres humains pour des raisons discriminantes.

Enfin un vrai accès au droit au culte et la fin du droit des cultes. ✨
Cependant, il reste un petit souci : et si insulter des idéologies, c’était insulter leurs adeptes? Petite épine, qu’on va étudier ensemble pour mieux comprendre : le sentiment religieux, ou « paix religieuse » ou pourquoi les anti-blasphèmes appellent au « respect ».
Le sentiment religieux, c’est lorsque les croyants d’une religion sont collectivement atteints par quelque chose. Il peut être positif : une crèche de Noel très jolie par la Mairie de Paris. Il peut être négatif : cela a malheureusement donné les atrocités commises en 2007.
D'autant plus que l'Art. 4 de la DDHC citoyen de 1789 prévoit que : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
Cet article résonne pour beaucoup et fait appel au souvenir de ce qu’il s’est produit autours du film jugé « blasphématoire ».
Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot, de Jacques Rivette, 1966 adaptation du livre de Diderot de La Religieuse, qui a tant choqué la France, que le film a été censuré. La censure sera finalement levée presque 10 ans plus tard, en 1975, par le Conseil d’Etat.
Ce droit à la protection du sentiment religieux est également protégé par, pour ne citer qu’elle, l’Art. 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi, il est LEGITIME de se poser la question du respect du sentiment religieux.
Cependant, la France a tranché en 2016 lors de la fin du concordat en Alsace- Moselle, le sentiment religieux n’est plus reconnu par l’Etat dans sa vision anticléricale de la laïcité.
Non, même si une communauté religieuse se trouve personnellement insultée d’une production à l’encontre de leur dogme, la France n’a pas à leur donner raison. Le « respect » pour une religion n’est pas une loi, et nos lois actuelles défendent le contraire.
La moralité de cela est un autre débat qui ne se tiendra pas sur ce thread.
Ainsi, maintenant que tout est posé, on peut maintenant tirer des conclusions

En France, on peut insulter, critiquer, ou même juste caricature une religion, ses personnages, ses symboles sans avoir à répondre de respect du sentiment religieux
C'est légal.
En France, on ne peut pas insulter, critiquer à tort, ou même juste cibler quelqu’un pour sa religion, le fait même de croire, son appartenance ethnique, idéologique, politique, son identité de genre, son expression de genre, sa situation physique, ou civile. C'est illégal.
On peut dire : telle religion est misogyne : c’est légal grâce à la loi de 1881

On ne peut pas dire : tel religieux est misogyne : c’est illégal grâce à la loi de 1972

Et si vous n’êtes pas contents, c’est pas à moi qui faut le dire.
Je vous laisse comme d’habitude avec des petits liens, des petites sources, et des petits documents.
Une caricature très ancienne de la crucifixion de Jésus, ayant une tête d'âne (graffiti d'Alexamenos, dessiné entre le Ier siècle et le IIIe siècle)
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