Le 8 février 1962, il y a 59 ans 8 personnes trouvaient la mort à la suite de la répression d'une manifestation pacifique pour la paix en Algérie 2 autres décèdent par la suite de leurs blessures
N'oublions pas Charonne
1)Avant de commencer de fil, posez vous.
Prenez un peu de temps.
Et regardez cet extrait du film Diabolo Menthe.
2)Ensuite, je vous conseille un livre, un très grand livre d’histoire, de ces livres dont on ne se remet pas. écrit par Alain Dewerpe. Dédié à Fanny. Sa maman. Morte à Charonne.
3)Bon maintenant je peux commencer…

(je sais on est le 7 mais demain j'ai cours toute la journée)
4)le 8 février le PCF et plusieurs organisations syndicales appellent à manifester contre l’OAS et pour la paix en Algérie
5)En effet, le processus de négociations qui devait conduire à l’autodétermination en Algérie s’enlisait
Les manifestations contre la guerre étaient de plus en plus nombreuses depuis 1960
6)Elles se heurtaient à la répression policière, violente, alors qu’en revanche les manifestations pro Algérie fr n’étaient pas réprimées les manifestations du FLN étaient, elles, réprimées plus violemment encore…
on se souviendra du 17 octobre 1961
7)
L’état d’urgence était en vigueur depuis avril 1961. Un arrêté préfectoral interdisait toutes les manifestations
Depuis octobre 1961, le préfet de police Maurice Papon avait décrété un couvre-feu raciste pour tous les « Français musulmans d'Algérie »
8)En protestation, la manifestation du 17 octobre 1961 avait été réprimée dans une violence inouïe qui fit de très nombreux morts voir là https://www.facebook.com/arretsurimages.net/videos/2177016085657580/
9)
Début 62, l’OAS multiplie les attentats en Algérie et en métropole. L’OAS est une organisation politico-militaire clandestine fr créée en fev 61pour la défense de la présence française en Algérie, et ce par tous les moyens, y compris le terrorisme à grande échelle.
10)Le 7 février plusieurs attentats de l’OAS visent des personnalités favorables à la paix
C’est en réaction à ce nouvel attentat que CGT et CFTC, FEN et UNEF appelle à une manifestation massive
11)La manifestation, pourtant organisée en rassemblement statique et pacifique, est interdite par la préfecture de Police toujours dirigée par Papon resté en poste après le 17 octobre….
12)
Le rassemblement est pourtant maintenu. Des consignes strictes de refus des affrontements avec les forces de l’ordre sont données aux manifestant-es
13)Mais dans le même temps, des consignes sont données à la police de disperser à tout prix le rassemblement…Les policiers sont enjoint à « faire preuve d’énergie »
14)Cinq cortèges sont organisés, pour converger vers Bastille. Ils doivent s’arrêter à bonne distance des cordons policiers et se disperser à Bastille
(désolée j'ai fait la photo de la carte dans le Dewerpe mais ma photo n'est pas très réussie)
15)20 000 personnes (chiffre établi par les historiens, sinon 6-7000 selon la police (chiffre repris par l’AFP), 10 000 selon le ministère de l’Intérieur et 60 000 selon l’Humanité, 50 000 selon Libération) manifestent ce 8 février au soir.
16)Il y a bcp de femmes, de jeunes
Peu de pancartes (déconseillé)
Des slogans reprenant les deux mots d’ordre de la manif
« OAS assassins et paix en Algérie »
17)Partout les forces de l’ordre sont présentes : 3000 policiers, gendarmes, brigades d’intervention, une hypermobilisation policière, une saturation de l’espace (les policiers pensaient qu’il y aurait autour de 7000 personnes, donc quasi 1 policier pour deux manifestants !)
18)ils sont équipés pour l’affrontement, de casques, de gants de toile, d’une matraque (le « bidule », bâton long de 83 cm inventé dans les années 1950) et de grenades lacrymogènes,
19)19 h 37 : l’ordre « dispersez énergiquement » est envoyé aux compagnies.

Comme un blanc seing.

Un ordre qui vient bien de la préfecture, de Papon, retrouvé dans les archives par Dewerpe
20)c'est important de le signaler car après, pour se dédouaner, la préfecture dira que la charge a été décidé sur le terrain par un commissaire zélé.

Mais non.
21)il semble y avoir eu, chez les chefs de section, des degrés divers d’administration de la violence, à l’image d’un commissaire qui alla jusqu’à refuser de charger (mais fut muté à cause de ce choix). Il n’y eu aucune victime dans son secteur
22)L’un des cortèges, qui pourtant se dispersait dans le calme, boulevard Voltaire, est alors chargé par les forces de l’ordre. Mais le boulevard est bloqué des deux cotés, les manifestants sont pris en tenaille. (une sorte de nasse donc, vous connaissez)
23)Les policiers frappent, de dos les gens qui fuient, même les blessés à terre
Sans faire le tri entre les manifestants et ceux qui sont juste là
L’un des dix morts de Charonne, Mohamed ait Saada est justement un homme qui rentrait chez lui, sans lien avec la manifestation.
24)Les gens fuient, dans tous les sens, cherchant à échapper aux matraques. le boulevard était jonché des chaussures que les gens ont perdues en courant
25)certains essaient de contre attaquer, il eut donc, mais APRES la charge et en réaction à la charge, des violences manifestantes (ce qui permit de nourrir après la fable d’une émeute justifiant la charge, cette image tournant dans les journaux)
26)certains parviennent à se réfugier dans les immeubles. Ils sont parfois poursuivis jusqu'au sixième étage par les policiers
Des concierges, des habitants ouvriront leur portes pour protéger, soigner les blessés
27)Mais d’autres espèrent se réfugier dans le métro…
Et là, dans l’escalier du métro Charonne, la bousculade est terrible. Les policiers les poursuivent dans les couloirs
28)Les gens tombent les uns sur les autres dans l’escalier (de la station en coude, ce qui crée une situation propice à l’engorgement). Ils étouffent…
29) la station n'était pas fermée ! Les gens n’ont pas été coincés par des grilles
C’est la préfecture qui le dira pour rendre responsable la RATP des victimes. Mais non. S’ils sont morts c’est à cause des coups donnés et de ce qu’on leur a lancé sur le corps
30)Les policiers iront jusqu’à poursuivre les gens dans le métro, noyé dans la lacrymo, cassant même la vitre d’une rame et faisant des blessés parmi les passagers
31)Qui plus est, alors que les gens hurlent, « Arrêtez », « A l’aide », « on étouffe » au lieu de stopper, lieu de les aider, les policiers leurs jettent les grilles des arbres (40 kg) et des grilles d’aération
32)
on relève 8 morts, et 2 victimes décèderont plus tard. Ce qui fait 10 même si la dernière, Mohamed ait Saada, celui qui justement était un simple passant, est souvent oublié dans les listes (ex sur la plaque dans le métro)
33) Pour leur mémoire, voici leurs noms
34)Certaines sont mortes étouffées ; pour d'autres, le décès est dû à des fractures du crâne sous l'effet de coups de matraques.
il eut un grand nombre de blessé-es aussi, le chiffre en reste inconnus
35)Le gouv commence par féliciter la préfecture et Papon, puis pour se disculper dénonce des violences de la part des manifestants
Et va même jusqu’à inventer la fable de membres de l’OAS « déguisés » en policiers et responsables du massacre
36) La répression soulève une vive émotion
Le 13 février, ont lieu les obsèques : grève générale, un cortège de plusieurs centaines de milliers de personnes
37)Finalement, au bout de dix ans de procédure, personne ne fut ni jugé ni condamné ni au pénal (qui prononça un non lieu), ni au tribunal administratif, (État se déclara incompétent pour juger de cette affaire).
38)Le procès au civil déboucha sur un jugement de responsabilité sans faute.
39)Ce qu’établissent les travaux sur le 8 fev, est qu’un tel massacre ne relève en rien de « l’anecdote » ou du « dérapage » : il a sa logique propre, qui est le résultat de « pratiques sociales » comme de « logiques politiques »
40)Les morts de Charonne sont la conséquence d’une tactique de maintien de l’ordre pensée, sciemment ordonnée et appliquée. des gestes routiniers inscrits dans des procédures répertoriées et autorisées, acceptées voire encouragées par la préfecture et par le pouvoir
41)L’historien Alain Dewerpe analyse ainsi ce qu’il appelle une « culture de la violence » propre à certains secteurs de la police, et notamment aux compagnies d’intervention qui sont responsables du massacre
42)Celle-ci était le résultat d’un processus historique, amorcé fin XIXe siècle avec la peur du « Rouge » (syndicalistes, anarchistes) et qui débouche sur un anticommunisme policier, qui renait plus fortement encore peut-être dans le contexte de guerre froide.
43)Il se double et s’aggrave d’un héritage d’un maintien de l’ordre colonial, qui fait que dans les espaces coloniaux, ou dans des contextes qui mettent en jeu les questions coloniales, la violence est exacerbée, reposant sur du racisme.
44)À un stade plus conjoncturel, il faut, pour comprendre cette violence, également tenir compte d’une culture d’extrême droite exacerbée par des sympathies avec l’OAS, notamment chez les chefs de compagnies. (donc pas « déguisés »)
45) Tout ça résonne terriblement de nos jours. J’ai lu le Charonne de Dewerpe à sa sortie, en 2006.

En le lisant, j’avais vraiment l’impression qu’il décrivait un autre temps, révolu.
46)D’ailleurs je me souviens que, en en parlant à mes parents, ils me disaient, « t’as pas connu ce temps, les manifs c’est plus dangereux auj mais à notre époque… ».
(Mes parents étaient à la manif, mais pas dans le secteur de Charonne)
47)J’avais donc lu ça comme qq chose de terrible, que je ne connaissais pas, pas vécu, et je m’en réjouissais
48)
Mais en le relisant récemment… J'ai été glacée, saisie.
Terrifiée de constater que cette fois ça me paraissait si proche
49)Les techniques et stratégie des forces de l’ordre
Le déni de l’institution policière
Le déni du pouvoir politique
La justice qui enterre les cas qui sont portés devant ses tribunaux
Les journaux qui se taisent et les rares qui dénoncent…
50)Et les mêmes questions qui se posent...
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