Décider ou non d'envoyer quelqu'un en prison...
Quoi de plus difficile pour un juge ?
Audience de comparution immédiate.
Le prévenu demande un délai pour préparer sa défense.
Affaires de violences conjugales.
Avec le renvoi, le dossier sera jugé dans 5 semaines.
Que faire du suspect pendant tout ce temps là ?
S'il reste en liberté, il garde son emploi, sa vie continue, n'oublions pas qu'il est présumé innocent.
Un contrôle judiciaire permet de lui interdire de voir la plaignante.
S'il va en prison, on est en revanche certain qu'il n'aura aucun contact avec son ex- compagne, donc zéro risque de réitération des faits.
Mais il perdra son boulot, subira la violence de la détention, autant de facteurs de récidive à la sortie..
D'un côté on privilégie la protection de la société, de la plaignante, et de soi-même soyons honnête (évitez les gros titres : "placé sous CJ, il assassine son ex-femme").
Mais on sacrifie aussi la présomption d'innocence et la réinsertion du prévenu.
De l'autre, on se dit que le type n'a jamais été condamné par la justice, oui les accusations de son ex sont graves, mais cela mérite-t-il de l'enfermer là tout de suite maintenant, juste pour avoir la certitude qu'il ne recommencera pas pendant X semaines ?
Toujours ce choix, cette balance entre l'un ou l'autre des intérêts, la plaignante, la société, et la défense de l'autre..
Prendre un risque des 2 côtés.
Le laisser en liberté pour ne pas le désociabiliser et donc éviter la récidive à sa libération.
Ou l'incarcérer pour le neutraliser pendant X temps et se dire que ça lui servira de leçon pour qu'il ne recommence pas.
Il n'y a pas de décision plus difficile à prendre pour un juge, un tribunal.
On a pas de boule de cristal, on travaille sur l'humain, avec toutes les incertitudes qui y sont liées.
Peut-on lui faire confiance pour respecter une interdiction de contact ? Au risque qu'il recommence avec des conséquences irrémédiables ?
Ou faut-il privilégier le zéro risque à court terme en l'envoyant en prison, avec tous les autres risques de récidive à long terme ?
Le législateur dit et répète que la prison doit être le dernier recours, rester l'exception là où la liberté reste la règle.
Mais le risque de la perte d'une vie humaine n'est-il pas aussi important ?
Comment continuer à juger, à vivre, quand la décision de mise en liberté qu'on a prise a abouti à la mort d'une femme une semaine après ?
Et dans l'autre sens, briser une autre vie en incarcérant le prévenu, en le faisant tomber dans la spirale prison-chômage-alcool-récidive-prison..
Il n'y a pas pire décision à prendre.
Je ne vous dirai pas ce que l'on a décidé dans notre affaire.
Je vous en parle juste pour que vous puissiez réfléchir sur la difficulté du job.
C'est toujours facile de critiquez une décision de justice, de vouer les juges aux gémonies parce qu'ils ont emprisonné ou libéré.
Mais quand il s'agit de prendre soi même la décision, de faire un pari dans un sens ou dans l'autre, on se retrouve parfois bien seul.
Mais c'est bien à nous de prendre cette décision, sans autre aide que notre propre conviction.
Et croiser les doigts...
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