Au parquet on traite de plein de types d'affaires : les violences conjugales, le trafic de stupéfiants, les atteintes aux biens, le proxénétisme, les atteintes à la probité, les violences aux mineurs, ....
Parmi elles je voudrais parler aujourd'hui des accidents du travail.
Parmi elles je voudrais parler aujourd'hui des accidents du travail.
On en parle peu. Les infractions liées au travail ne font pas forcément partie de celles pour lesquelles les parquetiers se battent pour les avoir dans leur escarcelle.
Moi ça fait partie des infractions que je suis particulièrement fière de traiter.
Moi ça fait partie des infractions que je suis particulièrement fière de traiter.
Chaque semaine sur mon secteur rural, composé de TPE, PME, avec une forte dominante en BTP et en agriculture, il y a plusieurs accidents du travail dont de nombreux mortels. Plusieurs personnes perdent la vie chaque semaine dans mon département.
Ouvriers qui chutent du tout, élagueur dont la corde est coupée et qui tombe au sol, conducteur d'engin qui se retourne et qui meurt écrasé, ouvrier écrasé par un engin de chantier, ouvrier qui chute sur un chantier et meurt sur un piquet métallique non protégé.
Quand un accident du travail arrive, normalement les secours sont appelés. L'employeur ou le chef de site devrait aussi appeler la gendarmerie. Mais ce sont les pompiers ou le SMUR qui les préviennent, chaque fois qu'ils interviennent.
Les gendarmes, sur mes consignes, doivent "geler" les lieux : prendre en photo la scène pour qu'on ait à la procédure les dispositifs de sécurité et de protection réels qui étaient sur place ; saisir les équipements de protection individuels s'ils existent
Mettre sous scellé le camion, l'engin de chantier.
Et appeler l'inspection du travail (aujourd'hui la DIRECCTE) qui est particulièrement formée au contrôle des règles de sécurité, et qui va faire un procès-verbal.
Et appeler l'inspection du travail (aujourd'hui la DIRECCTE) qui est particulièrement formée au contrôle des règles de sécurité, et qui va faire un procès-verbal.
Car, dans les faits, quand il y a un accident du travail, c'est à 99% parce qu'il y a des règles qui ne sont pas respectées par l'employeur - ou la société utilisatrice lorsque le salarié est intérimaire, ce qui est très fréquent.
Les employeurs ne forment pas spécifiquement l'ouvrier interimaire , puis rejettent la faute sur la société d'intérim qui elle-même indique que c'est à la société utilisatrice de former aux risques spécifiques de son activité.
En attendant un homme est à l'hôpital.
En attendant un homme est à l'hôpital.
Les inspecteurs du travail, aujourd'hui, peuvent être co-saisis de l'enquête, pour éviter ce phénomène qui nous fait perte du temps, la menée de deux enquêtes en parallèle, avec des connaissances et des objets différents. La loi du 23 mars 2019 permet cette co-saisine
Elle n'est pas encore entrée dans les moeurs : histoire, culture professionnelle très differentes entre la police et l'inspection du travail.
Mais j'y travaille.
Mais j'y travaille.
Même si ces deux enquêtes parallèles prennent du temps, quand elles aboutissent, elles permettent à chaque fois de caractériser :
- soit des négligences, des manquements ,
- soit une violation caractérisée d'une obligation légale ou réglementaire.
- soit des négligences, des manquements ,
- soit une violation caractérisée d'une obligation légale ou réglementaire.
Un manquement : un ouvrier intérimaire sur un chantier de construction enjambe à plusieurs reprises le muret des fondations de la maison en passant par deux planches pour faire passer la brouette, au lieu de faire le tour et de passer par l'espace de "trou" dans le muret
Le problème : le chemin n'est pas clairement indiqué et tous les témoignages montrent que les salariés font comme ça depuis le matin pour "aller plus vite". L'employeur ne les reprend jamais , ne leur dit pas de passer par le chemin plus long mais plus sécurisé.
Sauf qu'au bout du 87è passage, Monsieur G fait ripper la brouette sur le côté, chute et s'empare sur une tige en fer. Il sera extrêmement gravement blessé au poumon. Plusieirs dizaines de jours d'ITT.
M. G est intérimaire mais en règle. C'est une négligence avec des csqs graves.
M. G est intérimaire mais en règle. C'est une négligence avec des csqs graves.
De l'autre côté, on a M. J, qui conduit un engin de chantier alors qu'il n'a aucune formation pour cela. On va découvrir également que la déclaration "prealable" à l'embauche va être faite en urgence dans la journée après l'accident.
M. J, comme il n'est pas formé, ne sait pas que ce type d'engin ne peut pas aller sur une pente. M. J ne sait pas que la ceinture de sécurité, qui lui fait perte quelques secondes chaque fois qu'il monte et qu'il descend de l'engin, est une assurance vie.
Et M. J manoeuvre son engin en contrebas d'une autoroute et va manoeuvrer sur le talus.
L'engin se retourne, il chute, et meurt écrasé sous les 2 tonnes de métal.
Parce qu'un dirigeant de PME a sous-traité à un auto-entrepreneur pour baisser ses coûts.
L'engin se retourne, il chute, et meurt écrasé sous les 2 tonnes de métal.
Parce qu'un dirigeant de PME a sous-traité à un auto-entrepreneur pour baisser ses coûts.
Et que l'auto-entrepreneur, qui avait besoin de main d'oeuvre flexible, sans cotisation, a embauché un type sans formation, pour venir "lui donner un coup de main".
Il explique qu'il lui a bien demandé s'il avait déjà conduit ce genre d'engins.
Il explique qu'il lui a bien demandé s'il avait déjà conduit ce genre d'engins.
Quelle personne en galère, avec 10% de chômage en France, dirait non à quelques jours de travail?
Car bien entendu les accidents du travail, qui sont chacun uniques, avec des responsabilités pénales différentes, ne sont pas pour autant des faits divers fruits du hasard.
Car bien entendu les accidents du travail, qui sont chacun uniques, avec des responsabilités pénales différentes, ne sont pas pour autant des faits divers fruits du hasard.
Ils s'inscrivent dans un contexte de chômage massif, de concurrence déloyale de sociétés pouvant utiliser des travailleurs étrangers au coût bien inférieur. De pression à la rentabilité. Je n'ai pas (plus) d'usines chez moi mais là aussi il y a toujours beaucoup d'accidents.
Alors je suis en colère quand j'entends des responsables politiques dire "qu'on ne meurt plus au travail".
Parce que je vois des familles effondrées qui apprennent que leur fils de 20 ans, leur mari, père de jeunes enfants, leur père vient de mourir, subitement.
Parce que je vois des familles effondrées qui apprennent que leur fils de 20 ans, leur mari, père de jeunes enfants, leur père vient de mourir, subitement.
Qu'il est parti un matin au travail, parfois en les embrassant de loin pour ne pas être en retard, et qu'il ne sera pas là le soir.
Les campagnes de prévention sur les accidents de la route sont importantes depuis 30 ans.
Les campagnes de prévention sur les accidents de la route sont importantes depuis 30 ans.
Il y a autant de morts au travail que sur la route. Et je ne parle que des accidents du travail. Pas de suicides dont l'origine est professionnelle.
Et pourtant aucun renforcement de l'inspection du travail ; aucune campagne massive de prévention.
Et pourtant aucun renforcement de l'inspection du travail ; aucune campagne massive de prévention.
Et puis c'est un domaine où quand la procédure part mal, c'est très difficile de la rattraper.
Quand les gendarmes ne sont pas prévenus immédiatement, c'est une catastrophe en termes de déperdition de preuves. Le chantier est nettoyé, les piques nus recaouchonnés
Quand les gendarmes ne sont pas prévenus immédiatement, c'est une catastrophe en termes de déperdition de preuves. Le chantier est nettoyé, les piques nus recaouchonnés
Les EPI remplacés.
Et certains homicides involontaires n'ont jamais pu être investigués et poursuivis.
Et certains homicides involontaires n'ont jamais pu être investigués et poursuivis.
Je vous invite à suivre le compte Twitter @DuAccident pour réaliser le nombre de victimes.
Peut-être que la sécurité au travail, la prévention des risques mortels, pourrait un jour être une grande cause d'un gouvernement.
Peut-être que la sécurité au travail, la prévention des risques mortels, pourrait un jour être une grande cause d'un gouvernement.