[Suite du Thread ci-dessous sur le reportage à Compton]
Ce sera la seule personne qui incarnera certains des clichés associés aux rappeurs de Compton. Il parle beaucoup de gangs, de morts, et pour le shooting, il tient à sortir l’énorme liasse de billet qui sortait de la poche de son jean. Rouge, le jean. Blood de chez Blood.
Le lendemain, on va chercher Boogalue à 40 minutes de Compton, chez son plan-cul. Il ne peut pas conduire car il a été victime d’une fusillade et boite encore, en pleine rééducation. Il a besoin que quelqu’un le ramène chez lui et ce quelqu’un, c’est nous, bien sûr.
En route, il nous demande de nous arrêter à un fast-food pour commander des burgers : son petit-déjeuner. Il rappe par-dessus un titre de Compton’s Most Wanted. « Putain, mais vous connaissez ça, vous, les français ? ». Il n’arrête pas de blaguer.
On entre au cœur de Campanella Park, où Kendrick Lamar a tourné des scènes de King Kunta. Boogalue en était un figurant, et on le voit d’ailleurs sur la pochette de To Pimp A Butterfly. Des gosses jouent au basket sur un petit terrain. Des gens viennent nous saluer.
On interviewe des jeunes rappeurs de la ville, devant la maison de G-Weed, un OG, désormais en prison, mentor de bien des habitants de Compton, dont Kendrick Lamar. Le garde du corps de Roddy Rich, superstar du Rap US, une montagne de muscles, est présent.
Le frère de G-Weed débarque dans une voiture luxueuse, musique à fond. Tout le monde se connaît et une partie de l’histoire de Compton se dévoile sous nos yeux. L’atmosphère est détendue, les rappeurs sont heureux d’être pris en photo et multiplient les poses.
On part manger au Tam’s Burger, repère cité à de nombreuses reprises dans les albums des rappeurs de Compton. 92ème burger du séjour, en cinq jours, les estomacs grondent mais les souvenirs s’accumulent et on en plaisante entre nous.
Sur le chemin du retour, jusqu’à chez son plan-cul, Boogalue me demande de lui donner des noms de rappeurs de Compton. « Vas-y et je te dirai si ce sont des comédiens ou pas » ». Il me fait promettre de ne rien dire, mais le moment est fort. On se donne rendez-vous plus tard.
Après une rencontre compliquée avec un rappeur agité, tendu et intoxiqué, qui a failli provoquer une bagarre après avoir hurlé sur une jeune femme, qui est revenue le confronter, accompagnée de son petit-ami, on se dirige vers un « magasin de souvenirs de Compton ».
Le gérant nous avoue qu’il est ravi que des touristes fassent des visites malsaines à Compton, via une entreprise tenue par le beau-père du rappeur The Game, car ça lui rapporte plein de fric. Il se moque de ces gens mais est heureux que son business tourne.
On repart avec un bonnet noir « Compton » chacun, en lettres blanches énormes, floquées un peu à l’arrache et que l’on ne portera sans doute jamais. Sur le chemin de notre AirBnb, on est épuisés mais conscients d’avoir vécu des moments forts.
Retour à Compton, chez Show Gudda. Il est accoudé à une barrière, torse nu, avec son cousin à côté de lui, en chaise roulante. On entre chez lui et on s’assied sur un sofa défoncé, sous une photo d’un autre de ses cousins, tué par la police de Los Angeles.
A des années lumières des stéréotypes associés aux membres de gang, Show Gudda, mentor de Kendrick Lamar, est hilarant, calme et détendu, et son chien n’est pas un molosse menaçant, mais un tout petit clébard blanc aux poils frisés, qui ne cesse de nous grimper dessus.
« Hey, vous êtes des gens biens, sinon il serait pas comme ça avec vous, ce chien. Vous êtes cools, vous êtes chez vous ici les gars ». Sa fille vient ensuite s’assoir avec nous, puis sa femme nous rejoint. On discute pendant près de trois heures.
La rencontre est belle, émouvante et inspirante. Show Gudda nous raccompagne, et sa femme nous demande en riant de la ramener avec nous en France. Il lève les bras, au milieu de sa rue et hurle vers le ciel « C’est ma ville, c’est chez moi ici ! ». Beau symbole.
Le soir, on va manger au Delicious Pizza de J Dilla. On se dit qu’on a mérité une matinée de repos le lendemain. Tous les soirs, on se couche à deux heures du matin pour préparer les interviews du lendemain, dont beaucoup n’ont pas été prévues à l’avance. On est épuisés.
C’est là que je reçois un DM de Boogalue, qui me dit qu’il a prévu trois interviews pour nous en matinée, demain. On hésite une demi seconde et on remise nos envies de tourisme au placard. Retour à Compton, aux premières lueurs de la journée.
On est censés rencontrer Lil L, un des meilleurs amis de Kendrick Lamar, mais il ne viendra pas, encore bourré de sa soirée de la veille. On interviewe Kee Riches, jeune espoir de la ville, qui nous amène des t-shirts de sa marque, Get Rich. On est honorés.
Kee Riches finira en couverture d’un dossier publié dans le magazine Libération. Un honneur d’avoir pu le mettre en avant. On parle de Nipsey Hussle, la vision et la volonté de Kee Riches sont inspirantes. Boogalue, accompagné de sa jeune fille, nous hèle alors depuis un barbier.
Il veut qu’on vienne le prendre en photo. On s’exécute en riant. Dehors, une vingtaine de personnes sont présentes, elles rigolent en essayant de parler français. On attend que Lil L vienne mais c’est peine perdue. L’interview se fera par téléphone, avant qu’il entre en prison.
Dernière virée dans Compton, au son de la Playlist préparée pour l’occasion ( https://open.spotify.com/playlist/0ld202WZkidYrjf0NvUXrv), conscients qu’il y aura mille photos à traiter, des heures d’interviews à traiter, une structure de reportage à trouver, mais heureux d’avoir vécu tout ça.
Probablement peu de personnes sont allées au bout de ce Thread : merci à celles qui ont pris le temps de lire, vraiment. J’espère que toutes ces histoires vous ont plu ! Amour sur vous.
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