

Jour 1 : avec notre voiture de location, on a rdv à Watts, quartier proche de Compton, avec D3, jeune rappeur prometteur de la région. On se retrouve près du « meilleur burger de toute la Californie », le Hawkins House Of Burgers. Beaucoup de gens attendent leur repas.
Je foire mon check et passe pour un con. Gênant. C’est ma première interview, et la première de D3 aussi. Il vient d’être signé sur le label de YG et est en train d’exploser, mais à cette époque il est timide. C’est laborieux.
Il est accompagné par son manager, imposant, et un garde du corps très cool, Bundy, qui sera tué quelques mois plus tard. On demande à D3, si on peut aller dans les Nickerson Gardens, où il a grandi, de l’autre côté de la route, pour le shooting.
Il est OK, et on pénètre dans cette zone contrôlée par le gang des Bounty Hunters Bloods, où Jay Rock a grandi et où il a tourné des clips. « Vous ne pourrez jamais aller ici si on était pas là », nous dit Bundy, qui nous escorte. Des gamins jouent au basket.
L’atmosphère est détendue, ils rient beaucoup et nous aussi. Des curieux nous regardent en se demandant ce que l’on fait ici. Le shooting fini, D3 et Bundy prennent soin de suivre notre voiture des yeux pour s’assurer que l’on part sans encombre.
Le lendemain, on file vers le parc Gonzales, l’un des points de rencontre principaux de l’Ouest de Compton. Arrivés en avance, on se gare et on attend. On remarque une voiture dans laquelle un homme nous regarde bizarrement, puis sort de sa caisse.
Ne voulant pas prendre de risque, on repart et on fait des tours avant l’heure exacte du rendez-vous. Anthony Lee Pittman, timide au début, nous accueille chaleureusement. La rencontre nous marque profondément, tant cet homme est passionné, talentueux et courageux.
Ensuite, on rencontre JohnBoyCool chez lui, à deux pas de la rue où DJ Quik a grandi. On arrive avec 30 minutes de retard après avoir attendu devant la mairie de Compton, ne trouvant pas le point de rendez-vous. JohnBoy arrive avec un grand sourire.
Il nous fait entrer dans une petite remise sombre, avec une grande télé, des posters partout, une poupée de Chucky. Dehors, des petits jouent au basket sur le gazon. JohnBoy se roule un joint et propose à mon ami, photographe, de fumer avec lui. Il accepte.
On discute pendant trois heures : JohnBoy est généreux, drôle. La nuit tombe sur Compton, alors qu’on s’était promis de ne pas rester en ville quand le soleil disparaît. Il venait de nous parler de fusillades, un hélicoptère tourne dans le ciel & des gens crient, dehors.
Quand il apprend qu’on est allés dans les Nickerson Gardens, JohnBoy nous regarde avec étonnement, et nous dit « je ne vais jamais là-bas, moi, et je viens de Compton. Ils sont tarés ». On s’en amuse.
On part un peu précipitamment, mon pote est défoncé – « putain leur weed, c’est quelque chose ! », me dit-il – donc je conduis. On se sent de plus en plus à l’aise et on se détend en écoutant les radios locales de Los Angeles, en slalomant entre les bouchons.
Le lendemain, on passe la journée avec Andre Spicer, activiste, politicien, homme de radio et figure de Compton. Il nous fait visiter tout Compton au volant de sa voiture. On parle de la France, il nous plaint car on lui dit qu’on a souvent de la neige, chez nous.
Pour midi, on va chercher un burger, sans doute le meilleur de ma vie. La serveuse se fout gentiment de moi car je prononce n’importe comment le nom du burger que je veux. Elle me fait répéter 4 fois et dit à ses copines de venir m’écouter. Tout le monde rit.
On commande aussi une boisson, Kool Aid et pendant quinze minutes, j’ai l’impression d’être dans un clip d’Ice Cube, sur le point de me rendre dans une house party tardive au cœur du Sud de Los Angeles. On se calme, mec, t’as grandi à Grenoble.
Andre nous amène avec lui pendant un de ses rendez-vous de la journée. Il doit rencontrer une membre de la mairie et deux ex-membres de gang, devenus activistes, dans le parc Gonzales pour parler de la rénovation d’une route. Il fait chaud à en crever.
Arrivés au parc, l’adjointe au maire nous salue, l’un des deux homes aussi, mais l’autre refuse. Imposant, avec des biceps énormes, facile 1m95, il me toise et me demande directement « Qu’est-ce que tu fais ici ? ». Petit moment de solitude.
Je cherche Andre du regard, mais il me laisse me débrouiller. Il a raison. Je bégaye, impressionné par cet homme que je sais être un ancien gangster, même si rien dans son attitude n’est menaçante. C’est laborieux mais je m’en sors bien, car il me dit :
« Ok, vous pouvez rester. Votre démarche est saine, vous avez l’air d’être des gens bien. J’étais méfiant car trop de personnes viennent ici pour répandre des clichés sur notre ville. Hier, je vous ai vus dans mon quartier et j’étais sur le point de vous virer, avec mes potes… »
« … Mais vous étiez avec des gens que je connaissais, donc je vous ai laissés tranquilles ». Tout le monde se détend, et l’on se rend compte que l’on est en train de faire les choses de la bonne manière, en étant respectueux. Un moment déterminant pour nous et le reportage.
On se rend aussi compte que notre arrivée à Compton n’est pas passée inaperçue – en même temps, il y a exactement 0% de Blancs à Compton – et que même si la ville n’est pas le coupe-gorge que l’on décrit parfois, il nous faut être prudents.
Rdv ensuite avec Lil Mausberg, neveu du rappeur Mausberg, légende de Compton et protégé de DJ Quik, tué par balle avant la sortie de son premier album. Lil Maubserg boîte et m’explique au bout de quarante secondes que c’est à cause d’une fusillade.
Il est avec un type qui me filme pendant que je lui parle, et je découvrirai plus tard qu’il sortira une vidéo sur YouTube avec ces images, où l’on m’entend parler avec ma voix un peu fluette et mon accent hasardeux. C’est merveilleux.
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