En 698, Carthage, dernier bastion de l’Afrique Byzantine, tombe au main du général Hassān Ibn Al-Nu’mān Al-Ghassānī. L’Ifrīqīya, nouvellement conquise, aujourd’hui la Tunisie, le Constantinois et la Tripolitaine, se place ainsi dans la dépendance du Califat Ūmayyade.
Le début de la première phase de la formation de l’Ifrīqīya s’inscrit donc dans le cadre de la domination Ūmayyade.
Il faut savoir dans un premier temps que si le Maghreb est entièrement conquis, l’Ifrīqīya a une place toute particulière au sein de cette région du Califat. Elle est « l’épine dorsale de la colonisation Arabo-Musulmane ».
La région est très vite intégrée, bien qu’elle fût longtemps sous domination Romano-Byzantine elle est organisée et administrée à la manière Arabe :
Le Wâlî (ou Amîr) est à la tête de la province, il représente le Calife.
Tous les pouvoirs sont concentrés entre ses mains : commandement de l’armée, administration et justice.
Tous les pouvoirs sont concentrés entre ses mains : commandement de l’armée, administration et justice.
Ses pouvoirs et ses ordres s’appliquent et sont donnés depuis sa résidence ; le Qasr Al-Imarâ au sein de la Capitale de la province : Al-Qayrawān, première cité Arabe de la région, fondée en 670.
Au total l’Ifrīqīya connue, à cette époque, 22 Wâlî parmi lesquels on cite Mūsa Ibn Nūsayr (703 à 714) ou Handhala Ibn Safwân (741 à 746).
L’organisation militaire de cette période s’était composée à l’origine de soldats de la province d’Égypte. C’est sous la direction des premiers Wâlî que les berbères sont recrutés parmi des contingents d’auxiliaires.
[Bayân, p.38 | Ibn Al Raqîq, p.64 | Maʿalim Al-Imân fil-taʿrif bi-ridjal al-Qayrawān, p.61]
L’armée était organisée selon un schéma Islamique classique et avait, dans l’ensemble, son commandement propre, ses chefs de garnisons et ses milices, tous recrutés au sein de l’aristocratie Arabe, notamment Fihrite.
Cette dernière servit principalement à la répression des révoltes et aux razzias sur la Sicile et la Sardaigne.
[Raqîq, p.119]
[Raqîq, p.119]
L’administration était organisée en 3 départements : le Dîwân Al-Jund, le Dîwân Al-Kharâj et le Dîwân Al-Rāsa’il, respectivements bureaux de l’armée, des impôts et des dépêches.
« C’est Hassān Ibn Al-Nu’mān qui institua les dawâwîn, imposa le kharâj aux ‘Ajam de l’Ifrīqīya et à tous ceux qui, parmi les berbères, continuèrent à professer avec eux le christianisme. »
[Ibn ʿAbd Al-Hakam | Futūh, p.271]
[Ibn ʿAbd Al-Hakam | Futūh, p.271]
Dans l’Ifrīqīya des Wūlât, l’agriculture constitue « l’épine dorsale de l’économie » : les cultures se faisaient au sein des plaines du nord ainsi que dans la vallée de Qayrawān.
Dans le secteur Industriel, à l’inverse des Romains, les gouverneurs mettent en valeur l’exploitation des gisements de fer, de plomb et d’argent de Madjâna.
[La Berbèrie musulmane et l’Orient au Moyen Âge | p.79]
[La Berbèrie musulmane et l’Orient au Moyen Âge | p.79]
L’une des activités les plus florissantes de l’Ifrīqīya fût évidemment le commerce : lorsque Hassān Ibn Al-Nu’mān fonde Tunis, il fonde également un arsenal maritime (701-702).
L’Ifrīqīya pouvait ainsi se vanter de se lancer aussi bien dans des campagnes maritimes militaires que commerciales.
Les gouverneurs avaient fait de Qayrawān le cœur de la province, dont le principal partenaire commercial était l’Orient, permettant ainsi à la province de se renforcer au sein du Califat.
Al-Qayrawān était la ville Arabe du Maghreb par excellence : après Cordoue, cité d’Al-Andalūs, elle était, au Maghreb, la ville la plus importante.
Le géographe Al-Idrīssī (XIIe siècle) témoigne d’ailleurs plus tard de cette importance et de ce rayonnement :
« Al-Qayrawān est la mère des villes et la capitale du pays, elle est la plus grande ville de l'Occident Arabe, la plus peuplée, la plus prospère et la plus florissante avec les bâtiments les plus parfaits (...) »[Nuzhat al-mushtāq fī ikhtirāq al-āfāq]
La grande Mosquée était le symbole de la ville, le symbole de la province, le phare de l’Islam en Occident. Son importance et sa beauté est telle que le géographe Al-Bakrī la décrit ainsi :
« Toutes les personnes qui la voient n’hésitent pas à déclarer qu’il serait impossible de trouver ailleurs plus beau monument. » [Description de l’Afrique Septentrionale | p.22-24]
Son emplacement avait été choisi de manière stratégique : un accès aux routes Nord-Sud, assez loin de la mer pour éviter les attaques byzantines et au sein d’une plaine alluviale riche.
Cette fertilité est témoignée par Al-Bakrī : le grain semé donne parfois un rendement au centuple. [Encyclopaedia of Islam | G. Iver | « Kairawan »]
Elle et Tunis était les 2 centres principaux de l’Ifrīqīya, témoignages de l’investissement du Califat pour cette province. Qayrawān pôle du centre et du Sud, Tunis pôle du Nord.
L’Ifrīqīya des Wūlât se construit bien évidemment autour de sa démographie : les Arabes ne se contentent pas d’y apporter l’Islam, ils s’y installent durablement.
Ainsi durant la période Ūmayyade, « le gros du flux Arabe était de provenance égypto-syrienne » parmi laquelle les Arabes Yéménites avaient une « nette prépondérance numérique ».
[Histoire générale de la Tunisie | Tome II | p.61]
[Histoire générale de la Tunisie | Tome II | p.61]
Ce sont ces derniers qui entrent en premier en Afrique du Nord, notamment lors de l’expédition qui a lieue sous le Calife ‘Uthmān Ibn ‘Affan (ra) :
« En Egypte, de nombreuses autres tribus ont rejoint cette expédition en Afrique du Nord. Ils étaient principalement de Mahra, Ghanth et Mayd’ān des ‘Azd. Certains membres de la tribu Kinda dirigés par Mūqdad b. Al-Aswad, et certains de Lakhm et Judhām. »
La toponymie témoigne d’ailleurs de ce flux Arabe Qahtanite : on trouve ainsi en Tunisie des toponymes tels que Lezdine (‘Azd), Mahrine (Mahra) ou Kalbine (Kalb) qui permettent de penser qu’une partie de l’armée Arabe fût démobilisée en ces contingents tribaux.
[Histoire Générale de la Tunisie | Tome II | p.57-58]
Cette consolidation Arabe se construisait sur la domination militaire et administrative, à travers les emplacements garnisaires et bien sûr l’élément urbain.
Durant les périodes Ūmayyade-Abbasside, Qayrawān, véritable cœur du pays, se voyait constituée de différents clans tantôt Qahtanites, tantôt ‘Adnanites et parmi lesquels la Famille des Fihr, au sein de l’aristocratie Ansaro-Qūrayshite y avait une place particulière :
« La famille Qūrayshite des Fihr y occupait une place privilégiée qu'elle devait au nombre de ses membres et de ses clients, sans doute aussi au capital de prestige amassé par 'Uqba, martyr de
la conquête.»
[Histoire générale de la Tunisie | Tome II | p.62]
la conquête.»
[Histoire générale de la Tunisie | Tome II | p.62]
La période Abbasside, elle, est caractérisée par de nouveaux apports démographiques Arabes, surtout d’origine Tamīmite : ces derniers s’installent surtout à Tunis et dans le Zab.
Dans cette société que les Arabes dominent on voit également, outre les populations déjà présentes, d’autres catégories de populations :
Apparaissent ainsi des générations de Muwalladîn et de Hujanâ, des descendants de pères Arabes et de mères Berbères/Romaines.
Ou encore les Mawalî, que l’on divise en 2 principaux clans :
Ceux venant d’Orient, notamment les Persans, surtout d’origine Khûrasanienne.
Et les locaux, « les vaincus d’hier », d’origine Romaine ou Berbère.
Ceux venant d’Orient, notamment les Persans, surtout d’origine Khûrasanienne.
Et les locaux, « les vaincus d’hier », d’origine Romaine ou Berbère.
En Ifrīqīya comme dans le reste du Maghreb, l’Islamisation fût plus rapide que l’Arabisation, en moins de 2 siècles, ce qui était avant une terre du christianisme devint une terre d’Islam.
L’historien Abū Bakr Al-Mālikī (11e siècle) en témoigne d’ailleurs ; 2 fils de la Kahina se seraient convertis avec nombre de Garawa.
[Riyyāḍ. al-nufūs fī. ṭabaqāt ‘ulamā’ al-Qayrawān wa-Ifrīqiyya]
[Riyyāḍ. al-nufūs fī. ṭabaqāt ‘ulamā’ al-Qayrawān wa-Ifrīqiyya]
Al-Mālikī conclut d’ailleurs ses propos en déclarant : « L’Ifrīqīya est devenue Dār Al-Islām jusqu’à nos jours et elle le sera jusqu’à la dernière destinée, si Allah le veut. » [p.57]
L’Arabisation est, quant à elle, essentiellement citadine, Al-Qayrawān et Tunis jouent le rôle de pôles de l’Arabisation.