1/19 Il y a dans The Studio (1969), cet autoportrait de Guston en Klansman, la lucidité et la conscience historique qui font défaut à la "commémoration" de la première abolition de l'esclavage par di Rosa (1991). Thread ⬇️
2/19 Né à Montréal, Guston (1913-1980) met en scène le KKK dès 1930. Dans "Drawing for Conspirators", un groupe de Klansmen vient de lyncher un homme noir: violence banalisée, reléguée à l'arrière-plan, simple élément du décor. "Détail de l'Histoire", dirait Jean-Marie Le Pen.
3/19 Le regard se fixe sur le personnage prostré au premier plan: pour le Guston première époque, la mélancolie du tueur semble plus importante que le meurtre lui-même et que le système de domination qui en est la cause.
4/19 Après une période abstraite, Guston revient au figuratif dans une veine cartoonesque à la fin des années 1960. Un motif récurrent émerge de cette transition: des silhouettes encagoulées évoquant immédiatement l'imagerie du KKK. Un critique ricane: c'est du "Ku Klux Komix".
5/19 Paradoxalement, en utilisant les codes d'une forme jugée enfantine, voire vulgaire, par le monde de l'art, le regard de Guston a gagné en profondeur: là où il banalisait le crime raciste en 1930, 40 ans plus tard il peint la banalisation du racisme dans le quotidien.
6/19 Pour nous mettre face à cette normalisation, qui est aussi une invisibilisation, Guston s'accuse: il se représente lui-même en Klansman à la main rouge. "Red-handed", c'est le qualificatif du coupable, de celui qui a fait couler le sang, pris la main dans le sac.
7/19 Steve Locke décrit ainsi sa réaction au tableau: "Instead of evidence of an artist’s racism, I learn that, for the first time in my life, I am seeing a white artist—one of the giants of American art—grapple with his own complicity in white supremacy". https://www.artforum.com/print/202009/steve-locke-84378
9/19 Dans cet article, Locke démonte en peu de mots une idée aussi dangereuse que fallacieuse: combattre le racisme serait l'affaire des seuls Noirs. "On ne peut pas comprendre", disent les Blancs. "Il faut nous éduquer".
10/19 "Le mythe de l'innocence blanche, écrit Locke, va de pair avec celui de l'inscrutabilité noire". Au nom de quoi la responsabilité d'expliquer aux Blancs le système de domination qu'ils ont inventé incomberait-elle exclusivement aux Noirs ?
11/19 Toni Morrison le disait autrement en 1993: "Les Blancs ont un sérieux problème, il est temps qu'ils commencent à réfléchir à la façon de le régler". Ce qui s'est passé le 6 janvier à Washington montre qu'on n'a pas avancé d'un pouce sur la question.
12/19 Les tableaux de Guston, écrit Locke, montrent cette prise de conscience bien au-delà du mea culpa: "White thinking about what whiteness is and does". Ses bonshommes du KKK manifestent une compréhension de l'Histoire absente des visages béats des ex-esclaves vus par di Rosa.
13/19 Alors que, chez di Rosa, le crime contre l'Humanité se volatilise (les chaînes se brisent mais où est la main du colonisateur?), Guston nous met face à sa perpétuation, aux survivances discrètes de la colonialité dans les sociétés dites postcoloniales.
15/19 Locke, ici aussi, voit juste : "Also telling is the fear that white people have of [art] being 'misunderstood' as racist or evil because of the current challenges to Confederate statues and the plethora of images of state violence against Black people".
16/19 "That fear should not prevent them from doing their work, which is to present objects in context in a way that speaks to all of their constituencies, [...] without condescension or contempt".

L'absence de condescendance et de mépris : élément-clé souvent ignoré en France.
17/19 "Guston made a choice to reengage in the world and to image its circumstances. He took on his own whiteness and complicity and silence and showed them to the public".
18/19 "He implicated himself—red-handed, stumbling and swollen with potential violence—at a time when he did not have to do anything. He pointed the finger at himself and made it clear that whiteness carries a legacy of violence of which he was a beneficiary".
19/19 Je connais quelques dessinateurs 🇫🇷 qui pourraient en prendre de la graine - di Rosa est loin d'être seul dans son aveuglement. Il ne s'agit pas de je-ne-sais-quelle sensibilité, mais bien d'apprendre à regarder les choses (passées et présentes) en face.
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