Aujourd'hui nous allons tenter d'éclairer un peu le droit pénal relatif aux infractions sexuelles sur les mineurs afin, je l'espère, de vous aider à mieux comprendre les questions de droit qui se jouent aujourd'hui au Parlement [Thread]
L'actualité des derniers jours, précédée de décennies de revendications par les victimes de violences sexuelles sur mineurs nous a rappelé que ces violences sont loin d'être marginales et leur condamnation bien insuffisante, au moins en pratique.
Aujourd'hui, le Sénat s'est donc prononcé en faveur de la criminalisation systématique des actes de pénétration sur les mineurs de moins de 13 ans.
Cette solution, si elle est validée par l'AN, devrait s'ajouter à un régime juridique déjà complexe, mais pas si compliqué.
Comment sont sanctionnées pénalement les infractions sexuelles sur les mineurs ?
Quel impact pour les nouvelles dispositions ?

C'est ce que l'on va essayer de décortiquer dans ce thread (très) long et (trop) technique.
Quelques prérequis pour la suite:
Le terme "infraction" regroupe les infractions punies par la loi : contraventions, délits et crimes (de la moins grave à la plus grave).
Ce n'est pas parce qu'il y a circonstance aggravante que l'infraction est plus facile à caractériser.
Les infractions sexuelles couvrent un spectre assez large d'actes : l'atteinte sexuelle, qui ne concerne que les mineurs peut être caractérisée par un simple contact impudique, l'agression sexuelle n'implique pas de pénétration, le viol nécessite une pénétration.
Pour commencer, en France, tout acte sexuel par un majeur avec un mineur de moins de 15 ans est interdit par la loi.
Hors cas de viol ou d'agression sexuelle, l'auteur des faits se rend coupable d'atteinte sexuelle sans que le consentement de la victime soit examiné.
L'atteinte sexuelle est donc en quelque sorte automatique pour les mineurs de 15 ans, ce qui est incorrectement traduit en "âge de majorité sexuelle" par le grand public.

Elle peut être aussi caractérisée pour les mineurs de 15 à 18 ans dans des conditions plus restrictives.
Ces deux cas de figure ne peuvent être caractérisés que lorsque l'auteur des faits est majeur et que le viol ou l'agression sexuelle ne peuvent être caractérisés.

Autrement dit, s'il y a viol ou agression sexuelle, on retient ces dernières et non l'atteinte sexuelle.
Parenthèse sur l'inceste :

En cas d'inceste, les infractions sont qualifiées comme tel : atteinte sexuelle incestueuse, viol incestueux et agression sexuelle incestueuse. Code pénal, articles 222-31-1 et 227-27-2-1.
Il n'y a donc pas de crime ou délit spécifique à l'inceste.
En revanche, les infractions incestueuses peuvent conduire au retrait de l'autorité parentale de l'auteur des faits pour la victime mineure et ses frères et soeurs. Code pénal, articles 222-31-2 et 227-27-3.
Par ailleurs, pour la plupart des infractions sexuelles, le fait que l'auteur des faits soit un ascendant de la victime (père, mère, grands-parents etc.) est une circonstance aggravante.

Fin de parenthèse.
On va maintenant examiner l'impact de la minorité de la victime dans le cadre des infractions pénales de viol et d'agression sexuelle.
Pour commencer, reprenons les définitions :

Le viol correspond à "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol". code pénal, article 222-23
L'agression sexuelle couvre un champ plus vaste et est défini par la loi comme "toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise". code pénal, article 222-22
Cela peut correspondre à des attouchements, une main aux fesses, un baiser non consenti etc.
Il faut comprendre que ces deux infractions sont les mêmes que la victime soit majeure ou mineure, ce qui peut d'ailleurs être critiqué.
En revanche, elles vont être appréciées différemment pour les victimes mineures, et selon qu'elles aient plus ou moins de 15 ans.
En bref

I. la peine est parfois alourdie à cause de l'âge de la victime (circonstance aggravante)
II. le délai de prescription est allongé et débute à 18 ans
III. la caractérisation du délit ou du crime prend en compte l'âge de la victime (preuve différente de celle des majeurs)
Dans le détail :

I. Concernant l'aggravation de la peine en fonction de l'âge de la victime, elle s'applique en premier lieu aux viols et agressions sexuels sur mineurs de moins de 15 ans.
Une aggravation des peines en cas d'infractions sur les mineurs de plus de 15 ans est possible, mais elle est plus complexe, moins systématique car il n'y a pas de disposition spécifique.
Le juge peut notamment prendre en compte la vulnérabilité de la victime due à son âge.
Premier point d'étape :
les infractions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans sont sanctionnées plus durement.
Les infractions sexuelles sur mineurs de plus de 15 ans peuvent être sanctionnés plus durement mais ce n'est pas systématique.
L'aggravation des peines n'est pas la seule conséquence pénale de la minorité de la victime. Il y en a deux autres :
- L'aménagement de la prescription
- La prise en compte de l'âge dans la caractérisation de l'infraction.
Commençons par l'aménagement des délais de prescription.

II. Vous n'êtes pas sans savoir que toute infraction pénale ne peut être poursuivie que dans un délai déterminé à compté des faits. Au-delà de ce délai : l'auteur des faits ne peut plus être sanctionné.
La prescription est aménagée pour les victimes mineures à deux niveaux.

Pour commencer le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter de la majorité de la victime, et non à compter du moment où elle est victime de ces faits.
Ensuite, les délais sont allongés.

Quand il est question de chiffres, un tableau vaut mieux qu'un long discours, donc voici les délais de prescription pour chacune des infractions que nous avons vues jusqu'ici.
Deuxième récap :
- Les infractions sexuelles sur des mineurs par des majeurs sont sanctionnées plus gravement que les mêmes infractions sur des mineurs
- Les délais de prescriptions débutent à la majorité des victimes et durent plus longtemps.
Twitter m'a demandé de tout envoyer pour pouvoir continuer, donc le III. sur les spécificités de caractérisation des infractions sexuelles sur mineur arrive un peu plus tard.

Je vais en profiter pour manger donc ça prendra du temps.
Interlude : on comprend que le covid a modifié nos vies quand on capte qu'on est prête à se lance dans un thread ultra technique, que peu voire personne ne lira, un samedi soir à 21h passé.
III. La caractérisation des infractions sexuelles concernant les victimes mineures.

Nombreux d'entre vous se rappellent sans doute de deux affaires glaçantes, datant de 2018, dans lesquelles des juges avaient retenus l'atteinte sexuelle sur des mineures de 11 et 12 ans...
... mais pas l'agression sexuelle ou le viol, alors que les auteurs des faits avaient 28 et 29 ans.

Ces affaires ont attiré l'opinion publique sur les carences du droit pénal en matière d'infractions sexuelles sur mineurs.
Comment est-il possible de rejeter la qualification de viol pour l'acte sexuel perpétré par un trentenaire sur une enfant de 11 ans ?

La réponse : la loi pénale est d'interprétation stricte.

Le juge ne peut sanctionner des actes que la loi n'a pas explicitement réprimé.
Or, la définition du viol est très précise. Pour rappel, il s'agit de "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise".
Parenthèse : une critique peut être apportée sur le choix du législateur de centrer la définition du viol sur la pénétration. Fin de la parenthèse.
Un viol doit présenter l'un des caractères précédemment énoncés : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise.
Dans ces quatre cas, la victime n'a pu fournir de consentement à l'acte sexuel et l'infraction est caractérisée.
Le viol par surprise correspond à l'hypothèse où le consentement de la victime lui-même est surpris : il lui est impossible de l'exprimer. C'est le cas lorsque la victime est endormie, par exemple (coucou #Astronogeek 😡).
Et là le bât blesse, surtout lorsque la victime est un enfant. Dans les deux affaires mentionnées, l'auteur des faits n'avait pas fait preuve de violence physique, de contrainte en employant la force physique, il n'y avait pas de menace et les victimes étaient conscientes.
Légalement, il était tout simplement impossible de qualifier de crime ces cas de pédocriminalité car l'infraction pénale existante ne prenait pas en compte cette situation.
On découvrait donc, en 2018, que le droit pénal était inadapté pour criminaliser les actes sexuels commis par des adultes sur des enfants. Le gouvernement a donc proposé une modification de la loi pénale.
Sans s'étendre sur la question, plusieurs pistes ont été envisagées à l'époque. Créer un "seuil d'âge de consentement" en dessous duquel le viol était caractérisé en faisait partie.

Possiblement inconstitutionnelle, la mesure a été écartée au profit d'une autre solution.
Dans cette démarche de prise de conscience des spécificités de la pédocriminalité, la loi du 3 août 2018 crée l'article 222-11-1 du code pénal.
Lisez-le, on explique après !
Outre la précision que la contrainte peut-être morale et non plus simplement de l'ordre de la coercition physique, la loi modifie la caractérisation des infractions sexuelles pour les mineurs de moins de 15 ans et pour les mineurs de plus de 15 ans.
On peut ainsi imaginer un viol caractérisé malgré la déclaration de consentement de la victime âgée de 11 ans si la contrainte morale est caractérisée. Par exemple grâce à des manipulations etc. Ce qui aurait permis, éventuellement, un autre dénouement pour les affaires susvisées
Pour les mineurs de plus de 15 ans, le juge peut désormais prendre en compte une différence d'âge significative et un lien d'autorité pour caractériser la contrainte et la surprise.
Pour les mineurs de moins de 15 ans, le juge peut désormais apprécier la contrainte et la surprise en reconnaissant un abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.
Donc, en 2018, le juge peut enfin prendre en compte l'âge de la victime mineure pour caractériser un viol ou une agression sexuelle.
Avant cette date, ce n'était pas possible (ce qui revenait à considérer que les enfants pouvaient consentir comme des adultes).
Reste que cette adaptation de la loi ne permettait pas une criminalisation systématique des actes sexuels imposés par des majeurs à des mineurs.
La vulnérabilité de la victime et son absence de discernement étant laissée à l'appréciation des juges.
Parenthèse : cette loi prévoit aussi que le juge doit automatiquement qualifier l'atteinte sexuelle si l'agression sexuelle ou le viol son contestés à l'audience.
Cela permet concrètement d'éviter qu'un auteur d'actes relevant au moins de ce délit soit relâché sans peine.
Cette disposition se trouve à l'article 351 du code de procédure pénale.
Précision, cette disposition diffère de la correctionnalisation, qui consiste à juger des faits de viols comme des faits d'agressions sexuels, pour éviter les assises notamment.
Fin de la parenthèse.
Troisième récap' :
- Les infractions sexuelles sur des mineurs par des majeurs sont sanctionnées plus gravement
- Les délais de prescriptions sont plus favorables
- L'âge de la victime peut être pris en compte dans la caractérisation de l'infraction.
Les actes sexuels sur des mineurs par des majeurs sont déjà pris en compte par le code pénal :

Les actes sexuels sur les mineurs de 15 ans par des majeurs sont interdits.

Les infractions de viol et d'agression prennent en compte l'âge et sont plus sévèrement punies.
Ce qui peut donner lieu au tableau récapitulatif suivant présentant les différences entre majeur et mineur sur les questions que nous venons d'étudier.
Il nous reste deux derniers points à aborder avant de nous laisser.
Premier point : en matière de pédocriminalité et de violences sexuelles, il semble que le principal problème ne soit pas la sévérité de la loi ou même le délai de prescription.
Comme on l'a vu, les peines encourues sont importantes, et le droit "favorable" aux victimes fragiles.
Ce qui semble poser problème, c'est l'application de la loi en elle-même. Les peines prononcées sont faibles, les recours peu nombreux, les procédures longues, la caractérisation des infractions difficiles.
Je ne retrouve pas les articles et tweets que j'ai lu allant dans ce sens, n'hésitez pas à les poster sous ce tweet.
Deuxième et dernier point : la proposition de loi adoptée par le Sénat.

Maintenant qu'on a appris énormément de choses sur les infractions sexuelles sur mineurs, il est temps que cela nous aide à comprendre les changement annoncés par cette proposition.
Quatre propositions impactent particulièrement ce que l'on a vu jusqu'ici :
- Un projet d'allongement de certains délais de prescription
- La création d'une circonstance aggravante du délit d'atteinte sexuelle en cas d'inceste
- L'ajout de l'ensemble des actes bucco-génitaux aux crimes sexuels sur mineurs
- La création d'un nouveau crime sexuel : criminalisant les actes sexuels (pénétration et actes bucco-génitaux) par une personne majeure sur un mineur de 13 ans.
Une reformulation de l'article 222-22-1 est par ailleurs envisagée. Si vous avez suivi, il y était question de vulnérabilité et de discernement du mineur de moins de 15 ans dans l'appréciation de la contrainte. Cette formulation serait remplacée par la notion de maturité sexuelle
Donc dans l'ensemble, des mesures visant à sanctionner plus sévèrement ces infractions.
Mais ne nous leurrons pas. Si l'on ne peut pas se plaindre de ces progrès : aucune disposition ne vise à régler les problèmes d'effectivités des dispositions étudiées.
Or, en la matière, et hormis quelques affaires comme celles que les deux mentionnées plus haut, c'est l'effectivité de la loi qui fait le plus défaut. Et pour la garantir, il faut donner des moyens à la justice et aux associations ce que ne prévoit pas la proposition...
Néanmoins, contrairement à ce qu'on a pu lire aujourd'hui sur les RS, cette proposition ne fait qu'améliorer le droit existant.
Le projet de crime sexuel est une avancée majeure puisqu'il systématise la criminalisation de certains actes sexuels là où il n'y avait que des délits.
Surtout, cette proposition ne valide pas les relations sexuelles entre un majeur et un mineur âgé de plus de 13 ans. Il y a toujours atteinte sexuelle, et l'agression et le viol peuvent être qualifiés plus facilement grâce à la loi de 2018.
Je vous laisse avec l'un des tableaux récapitulatifs du thread adapté à la proposition de loi.
Ce thread est bientôt terminé. Pour se rafraîchir la mémoire, on y a vu des choses générales sur l'atteinte sexuelle, l'agression sexuelle et le viol. On a vu que l'inceste est qualifié en plus de l'une de ces infractions et non à part.
On aura aussi vu comment le droit prend en compte la minorité de la victime à travers la prescription, l'aggravation et l'appréciation de l'infraction par le juge.
Enfin, on aura regardé ce que la proposition de loi adoptée par le Sénat contient et constaté qu'elle ne prévoit que des améliorations, tout en évoquant qu'elles seraient sans doutes insuffisantes face aux réalités de la pédocriminalité.

VOILAC'ESTFINI !
Je remercie tous ceux qui auront eu le courage de lire ce thread extrêmement long, technique et austère, le sujet ne se prêtant pas vraiment à la rigolade et aux gifs 🙏
J'espère que vous aurez appris des choses, moi oui.
(Et déso pr lé fotes g pa tt bien relu des fois ct lon😶)
(Et bonne nuit)
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