Quelques réflexions suite à ce beau portrait de Joséphine Baker par Abnousse Shalmani. Où on parle à nouveau d'identités, d'universalisme et des apories de l' "antiracisme" intersectionnel. Un thread
https://twitter.com/ARosencher/status/1340744548650274823

Au départ de cette réflexion, une question: pourquoi Joséphine Baker, métisse, bisexuelle, convertie au judaïsme est à ce point invisibilisée par les nouveaux "antiracistes" alors qu'il devraient porter au pinacle ce parangon de l'intersectionalité? https://twitter.com/jacobinmag/status/1338268756661870592?s=20
Plusieurs raisons à cela
1/ l' "antiracisme" intersectionnel ne veut voir que des victimes de la domination blanche. D'où la réduction de Baker à son corps de danseuse lors d'une récente exposition au mépris de son parcours politique (Shalmani)
1/ l' "antiracisme" intersectionnel ne veut voir que des victimes de la domination blanche. D'où la réduction de Baker à son corps de danseuse lors d'une récente exposition au mépris de son parcours politique (Shalmani)
2/ Les engagements de J. Baker témoignent en outre d'une adhésion à l'universalisme républicain que les intersectionnels cherchent à abattre : résistante, gaulliste, militante de la @_LICRA_ , un destin français en somme comme le dit si justement Shalmani https://twitter.com/_LICRA_/status/1299308320675766272?s=20
3/ Les identités complexes de Joséphine Baker mettent aussi en échec la vision intersectionnelle. D'abord, parce que contaminée par la one-drop rule des ségrégationnistes US, la pratique intersectionnelle ne conçoit que des identités simples et/ou visibles
4/ D'où l'impossibilité pour la non-mixité militante de prendre en compte "les métis, les bi, les hors-de-soi et tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ces assignations" (Noudelmann). Joséphine Baker serait-elle conviée à un camp d'été décolonial ? https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/05/11/contre-la-logique-separatrice-il-faut-defendre-la-mixite-comme-principe-sociopolitique_4917546_3232.html
5/ Mais il y a sans doute plus encore dans les identités métisse, juive et homosexuelle que l' "antiracisme" intersectionnel ne parvient pas à appréhender, comme un lien dialectique avec l'Universel
6/ Ce lien, Alain David en donne la clé dans une subtile relecture du "Sodome et Gomorrhe" de Proust. https://jadislherbe.blog/2018/06/16/sodome-jerusalem-et-le-gout-infini-de-la-republique/
7/ Dans le texte de Proust, on trouve dans la bouche du Baron de Charlus une "démonstration folle" : par un jeu de statistiques, de minorités persécutées, homosexualité et judaïsme deviennent universels, "transcendentaux"
8/ Transcendantaux, ils le sont certes par le fait qu'on ne sait qui "en est" et qu'on ne saurait donc les compter. Et aussi parce qu'à l'époque de Proust, l'existence de ces deux minorités subvertit la société traditionnelle mais aussi le rationalisme kantien des dreyfusards
9/ Contemporain de Proust, Peguy le dit exactement en distinguant la politique de l'Affaire Dreyfus, le rationalisme kantien en acte, et la mystique de l'Affaire, la quête d'une République idéale qui aurait satisfait le besoin absolu de justice des premiers dreyfusards
10/ C'est à cette quête que renvoie finalement l'existence de ces deux minorités: soutien à la République et aiguillon d'un ailleurs républicain toujours à venir. En prolongeant Alain David et en allant chercher du côté de W.E.B Du Bois, on pourrait en dire autant du métissage
11/ Du Bois est en effet le théoricien de la "double conscience" des métis ne "menant ni à l'assimilation, ni à la séparation mais à un trait d'union fier et endurant". Une dialectique féconde entre Identité et Universel https://www.montraykreyol.org/article/une-nouvelle-illusion-theorique-dans-les-sciences-sociales-la-globalisation-comme
12/ Ce que David dit des juifs et des homosexuels, ce que Dubois dit des métis ne doit pas être pris comme une particularité de ces minorités. Ce rapport à l'Universel, évident ici, est présent au moins de manière latente chez toute minorité aspirant à l'émancipation
12/ En creux et en repensant à Joséphine, on distingue donc bien l'aporie majeure du néo-"antiracisme" intersectionnel. A force d'essentialiser les races, quand bien même elles seraient "sociales", on perd tout lien avec l'Universel et avec le projet d'émancipation
13/ C'est donc le seul test qui vaille pour un antiracisme conséquent. Est-il capable de faire droit à la situation de toute minorité persécutée? Est-il capable de tirer de la situation concrète de cette minorité des éléments servant le projet d'émancipation générale ?