Bon alors je vais essayer d'expliquer ici pourquoi ça craint de chercher des origines biologiques à l'homosexualité.

(Un thread assez long, asseyez-vous, prenez un café et un cookie)

À la base, j'avais écrit cet article (que je vais retranscrire en thread) pour donner des pistes aux profs, pour qu'ils aient une idée de réponses à donner aux élèves qui posent la question (parce qu'on nous pose tout le temps la question, encore plus depuis la vidéo de ce naze)

Voila, alors quelle est l'origine de l'homosexualité ?

N'attendez pas une réponse de ma part. J'en sais rien, je m'en fous, et je vais surtout vous expliquer pourquoi 1/ cette question est problématique et 2/ on ne sait pas y répondre.

1) Et l'origine de ton hétérosexualité on en parle ?

La question ("quelle est l'origine de l'homosexualité") en elle-même est problématique : On ne demande pas quelle est l'origine des différentes orientations sexuelle, mais quelle est l'origine de l'homosexualité.

On part ainsi du principe qu'une des orientation - l'hétérosexualité - est la norme et les autres n'en seraient que des déviations.

On voit d'emblée qu'on se place d'un point de vue hétérocentré, où la diversité des orientations est réduite à l'état d'anomalies, de pathologies.

D'abord, une orientation sexuelle c'est quoi ? Est-ce qu'il y a *une* homosexualité ?

Tout comme l'identité de genre est diverse et n'est pas binaire, les orientations sexuelles sont nombreuses : il ne s'agit pas seulement d'une opposition homosexualité versus hétérosexualité,

mais un spectre le long duquel les attirances physiques mais aussi affectives peuvent être diverses.

Les discours tendent à confondre pratiques sexuelles, préférences sexuelles et orientation sexuelle, avec une frontière immuable entre ce qui est hétéro, et ce qui ne l'est pas.

Par exemple, j'aime bien la définition d'orientation sexuelle de l'Association Américaine de Psychologie : « L'orientation sexuelle n'est pas simplement une caractéristique essentielle d'un individu [telle que l'âge, la taille, l'identité de genre],

mais définit plutôt le groupe de personnes avec lesquelles un individu est plus à même de trouver les relations romantiques satisfaisantes et comblantes qui sont un élément essentiel de l'identité pour de nombreuses personnes. "

(il y a des points à redire sur cette définition, notamment la notion d'identité appropriée par les personnes LGBTQI, la dimension politique, mais tout de même, ce point de vue est intéressant)

Donc déjà, on parle de l'origine de l'homosexualité, mais quid des personnes bisexuelles, pansexuelles, asexuelles, ou encore des personnes dont l'orientation sexuelle et affective change au cours de leur vie ?

2) Pourquoi rechercher la réponse à cette question craint sa mère :

Le problème que ça pose n'est pas de savoir si l'homosexualité a une origine biologique ou pas (au final, on s'en fout un peu), c'est ce qui peut être fait de cette connaissance.

A : « Dieu nous a fait ainsi » -> acceptation universelle de l'homosexualité, fête du slip dans tout l'univers

B : Recette médicale miracle pour corriger ou éliminer l'homosexualité

Je sais pas vous mais moi à ce stade j'ai assez peu de doutes sur la réponse.

En théorie, l'ensemble des recherches scientifiques consacrées à l'homosexualité ne devrait pas avoir pour but de justifier ou d'invalider les comportements homophobes. On fait une recherche sur l'origine d'une variation individuelle pour *savoir* (pour la connaissance),

pas pour en tirer par la suite une valeur morale.

Si on veut savoir pourquoi certaines personnes n'aiment pas la coriandre, c'est intéressant. Mais ici, on étudie une « variation » qui est déjà marginalisée ou criminalisée dans la quasi-totalité des pays, et ça craint.

- L'appel à la nature

Un argument classique : l'homosexualité est naturelle car elle existe chez plein d'espèces animales.

Mais c'est un argument fallacieux : le meurtre, le viol, l'infanticide, la nécrophilie et le cannibalisme sont aussi monnaie courant dans le règne animal

Ça ne veut pas dire que ces pratiques doivent être acceptées dans la société (nope nope). On ne peut donc pas justifier d'un respect de l'homosexualité pour cette raison.

S'il faut cesser de persécuter et stigmatiser les personnes homosexuelles (ça marche avec toutes les personnes LGBTQIA évidemment), c'est tout simplement parce que l'homosexualité ne nuit à personne (contrairement au meurtre et au viol). Et c'est tout.

Au final, l'homophobie trouve son origine dans la normativité, et la volonté de vouloir éliminer, corriger ou exclure tout comportement déviant de cette norme hétérosexuelle (et cisgenre).

3) Les pistes étudiées et les problématiques associées

- Au niveau génétique

Si des zones spécifiques de l'ADN ont été corrélées à l'homosexualité (suite à une étude portant sur 400 paires de « faux jumeaux », donc ne partageant pas la même information génétique),

cela n'indique pas qu'il existe forcément un déterminisme génétique. On peut rappeler que corrélation ne signifie pas causalité. En effet, on trouve des locus génétiques corrélés avec de très nombreux comportements, sans pour autant que cela ne désigne un déterminisme direct.

- au niveau cérébral :

Les études faites sur les différences entre homos et hétéros présentent les mêmes biais qu'entre les hommes et les femmes.

Lorsqu'on observe l'activité cérébrale entre deux groupes d'individus, il y a presque autant de différences entre les individus d'un même groupe qu'entre les deux groupes.

L'environnement et le vécu modifient le cerveau (c'est la plasticité cérébrale),

il est donc impossible de savoir si les différences observées sont innées ou si elles sont le résultat des expériences vécues par chacun·e.

Et comme il est impossibilité de réaliser des test à un stade précoce (genre, moins de 2 ans) pour éviter les biais liés au vécu, à l'éducation et à l'hétérosexisme sociétal, il n'est pas possible de savoir ce qui est inné et ce qui est acquis.

- Enfin au niveau hormonal, puisque c'est l'hypothèse pourrie de Balthazart, popularisée par MB :

a) Déjà les études sont faites sur des souris. Or la sexualité des primates hominidés est basée sur le plaisir davantage que sur la reproduction via le système de récompense.

Donc les études faites sur des échantillons d'animaux non hominidés, où la sexualité est fortement contrôlée par les hormones, ne peuvent être fiables.

b) Elle utilise l'appel à la nature (voir plus haut dans le thread)

c) Elle tente de convaincre que l'homosexualité est une « inversion » qui trouve son origine dans une « anomalie » du développement cérébral in utero, liée à une exposition « anormale » à la testostérone

(les termes anomalie, anormale et inversion ne sont pas utilisés par le youtubeur dans sa vidéo, mais le sont dans le livre de Jacques Balthazart qu'il utilise comme unique source).

d) Elle considère les hommes homosexuels comme des « hommes féminisés » et les femmes homosexuelles comme des « femmes féminisées », ce qui contribue à renforcer les stéréotypes et l'homophobie.

Et enfin dernier point méga craignos :

e) Elle évoque la possibilité d'une « correction » par une injection d'hormones au bon moment de la vie embryonnaire.

TA-DAM ! Nous y voila !

(sans parler du fait que le youtubeur considère l'hypothèse comme fiable pour la simple raison qu'il n'existe pas d'hypothèse alternative (ce qui n'est pas une démarche scientifique). Or c'est à la personne qui avance une thèse de la soutenir.)

Ces thèses essentialistes (mais aussi les thèses psychanalytiques du début du XXè siècle) décrivent l'homosexualité comme étant la conséquence d'une variation dans le processus de masculinisation (ou de féminisation) in utero :

l'orientation homosexuelle redevient une « maladie », non plus mentale, mais liée au développement embryonnaire, ou alors une maladie génétique.

Et les maladies, ça se soigne !

Bref je pense que vous avez saisi l'essentiel.

Et je vais conclure là dessus : Pourquoi y a-t-il des homosexuels ? Parce qu'il y a une norme hétérosexuelle.

Et pitié cher·es collègues, ne montrez plus cette vidéo aux élèves en la prenant pour la recette miracle pour lutter contre l'homophobie.

Laissez-là disparaître dans les tréfonds du net, et à la place laissez les couples non hétéro s'embrasser dans les couloirs de vos lycées.