(1/n) On met régulièrement en avant les comparaisons internationales pour dénoncer l’excès de dépense publique en France. Il est vrai que le différentiel est particulièrement fort avec l’Allemagne. Mais comment l’expliquer ?
Comme vous l’avez sans doute déjà entendu, la France est la « championne du monde » de la dépense publique, qui représente désormais 55,9 % du PIB.
L’écart atteint 11,5 points avec l’Allemagne, qui dispose pourtant d’un modèle social comparable. Ainsi, les deux pays ont fait le choix de socialiser largement la protection sociale, contrairement par exemple aux Etats-Unis.
Comment explique un tel écart ? Ce que je souhaiterais vous montrer dans ce thread, c’est que la réalité est toujours plus complexe qu’on ne le dit.
Pour commencer, une chose essentielle que l’on oublie souvent est que le dénominateur (le PIB) peut tout autant contribuer à expliquer le différentiel que le numérateur (les dépenses publiques).
Un surcroît de dépense publique dans la richesse nationale peut ainsi s’expliquer par une dépense par habitant supérieure mais aussi par un PIB par habitant inférieur.
Or, il existe désormais un écart très significatif entre le PIB par habitant de la France et celui de l’Allemagne, estimé à 13 % par le FMI à parité de pouvoir d’achat.
Concrètement, cela signifie que si le PIB par habitant de la France était identique à celui de l’Allemagne, la part de la dépense publique dans la richesse nationale serait de 49,5 % du PIB, et non de 55,9 % du PIB.
Un peu plus de la moitié de l’écart entre la France et l’Allemagne s’explique donc par la moindre capacité productive de notre pays, et non par une tendance dépensière !
Cela signifie également que si la France voulait ramener le poids de la dépense publique dans la richesse nationale au niveau allemand, il faudrait que la dépense par habitant soit significativement inférieure dans notre pays, pour compenser l’effet dénominateur. Peu réaliste..
Venons-en maintenant à la dimension plus strictement budgétaire de l’écart. Où est-ce que la France dépense davantage que l’Allemagne ? L’excellent @ecallefipeco nous propose un tableau résumant les principales sources d’écart.
Mais là encore, il faut se garder de toute interprétation hâtive. Il y a notamment deux domaines pour lesquels le différentiel franco-allemand trouve une explication contre-intuitive.
Il s’agit tout d’abord de l’éducation. Si la France dépense près d’un point de PIB de plus que l’Allemagne en la matière, la structure démographique des deux pays est différente : il y a davantage d’étudiants en France qu’en Allemagne.
En réalité, si l’on prend la dépense par élève, la France est derrière l’Allemagne, comme le montre l’OCDE. Ramener le poids de la dépense éducative dans la richesse nationale au niveau allemand impliquerait donc une dépense par élève encore inférieure. Peu souhaitable !
Un autre secteur où l’écart est à interpréter avec prudence est celui des « Affaires économiques », domaine dans lequel le différentiel entre la France et l’Allemagne atteint 2,4 points de PIB.
En la matière, une bonne partie de l’écart tient à une différence de culture économique : la France préfère taxer davantage mais accorder en contrepartie des subventions et des crédits d’impôts pour encourager certains comportements.
Il en résulte à la fois un niveau plus élevé de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques dans la richesse nationale.
On pourrait certes décider de réduire les subventions et les crédits d’impôts mais il faudrait alors certainement, en contrepartie, réduire les prélèvements obligatoires, ce qui serait finalement assez neutre pour les finances publiques.
Parfois, la différence est même purement comptable, comme l’illustre le cas du CICE. Comme il s’agissait d’un crédit d’impôt, il était comptabilisé comme une dépense publique.
Même si ça ne change pas grand chose économiquement pour les entreprises, sa transformation en baisse de cotisations sociales en 2019 aboutira comme par magie à réduire de 0,8 point de PIB à la fois la dépense publique et les prélèvements obligatoires !
Alors finalement, quels sont les secteurs dans lesquels l’écart avec l’Allemagne ne peut s’expliquer par des raisons purement démographiques ou comptables ?
Il me semble qu’il y en a principalement quatre.
On trouve tout d’abord le logement (1,2 point de PIB) et la défense/sécurité (0,8 point de PIB) mais cela traduit en partie des choix collectifs largement partagés sur l’échiquier politique.
De façon plus significative, il y a également la masse salariale publique, qui représente un écart de 4,4 points de PIB.
Mais en réalité, une partie tient à l’éducation et au fait que les hôpitaux ne sont pas comptabilisés comme des administrations publiques en Allemagne, ce qui explique l’écart très important observé dans le domaine de la santé.
Si l’on neutralise ces deux effets, l’écart serait plutôt de 2 points de PIB environ d’après la Banque de France, ce qui reste très significatif. https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/france-allemagne-comparer-lucidement-les-masses-salariales-publiques
Enfin, les dépenses de retraite constituent une dernière source d’écart, qui apparaît d’autant plus significative que la structure démographique est cette fois plus favorable à la France. Le différentiel en la matière atteint ainsi près de 3 points de PIB.
Au total, il me semble que l’on peut retenir au moins quatre leçons de ce petit exercice.
Tout d’abord, il faut toujours interpréter les comparaisons internationales en matière de dépense publique avec prudence, en analysant les différences de choix de socialisation public/privé, de traitement comptable et de structure démographique.
Ensuite, il faut au moins autant se préoccuper du dénominateur (le PIB) que du numérateur (les dépenses publiques) si l’on veut réduire l’écart avec l’Allemagne.
Enfin, les retraites et la masse salariale publique apparaissent de loin comme étant les principales sources d’écart avec notre voisin. C’est d’ailleurs assez logique, car elles représentent près de la moitié de la dépense publique totale.
J’espère que ce thread correspondait aux attentes de @JcCatalon, qui m’en a soufflé l’idée. https://twitter.com/JcCatalon/status/1339679888312250370
Si le sujet vous intéresse, je vous proposerais bientôt une suite sur un thème connexe : dans quelle mesure le poids de la dépense publique est-il vraiment un problème sur le plan économique ?