Pourquoi Still Loving You est une chanson extrêmement problématique qui illustre la prégnance de la culture du viol par la culpabilisation de la victime et mène immanquablement au féminicide, un thread 👇 (1/341)
Pour rappel, les chansons à base de « je t’aime, ne me quitte pas » chantées par un homme sont par nature patriarcale et contribuent à la création d’une culture de la culpabilisation et de la charge mentale affective où les femmes ne sont pas libres de leurs choix. 🤮🤮 (2/341)
Dans une perspective idiosyncratique et intersectionnelle, on voit immédiatement que c’est un problème que l’on ne peut aborder sans une lecture préalable des écrits de Maya Angelou et de Michel Foucault, que je rappellerai ici brièvement. (3/341)
Il va de soi également que je supposerai dans la suite que vous avez au moins une connaissance des concepts de base que l’on apprend dans toute licence d’études de genre, si vous n’êtes pas à l’aise avec ces concepts je ne vais pas vous les expliquer moi-même, hein. (4/341)
Et je précise que je bloque à vue tous les « not all men », les fachos du printemps républicain, les juristes qui la ramènent avec la présomption d’innocence (la victime, elle, on ne la présume jamais innocente de mensonge) et autres réactionnaires. (5/341)
Car n’oublions pas ce que disait Angela Davis au sujet de la présomption d’innocence, c’est-à-dire de mensonge de la victime : « celui qui dénonce les militants du camp progressiste cherche lui-même à dissimuler son propre militantisme conservateur ». (6/341)
Bref, revenons-en à notre approche structuraliste et idiosyncratique. Rappelons tout d’abord, ce n’est pas un hasard, que le nom du groupe Scorpions n’est pas choisi au hasard et correspond bien à l’idéologie viriliste de ses membres. (7/341)
Ainsi, tout d’abord, d’un point de vue astrologique, le scorpion, on le sait, est généralement considéré comme étant le signe de la passion, du désir [1]. (8/341)

[1] Cf. Élizabeth Teyssier & Rokhaya Diallo : déconstruire la réaction, une approche astrale.
Ce désir, présumé viril quand masculin mais nécessairement refoulé et brimé lorsque féminin, dans une société patriarcale, servira de cadre au harcèlement du chanteur vis-à-vis de la femme à laquelle est adressé ce texte. (9/341)
Le scorpion, c’est aussi la queue dressée, et donc un symbole phallique évident. Mais, dans cette queue, un dard vénéneux. Tout en feignant de reconnaître la toxicité du masculin, les membres du groupe, on le verra, s’y complaisent. (10/341)
Le scorpion, enfin, est une référence évidente au militarisme — l’on reconnaît un lien avec la force Scorpion, c’est-à-dire avec l’armée de terre française [2].

[2] Houria Bouteldja, Juan Branco et al., Atomiser et punir, ou la domination du bourgeois blanc sur le gilet jaune
Militarisme qui ne saurait étonner lorsque l’on se rappelle que Scorpions est un groupe ALLEMAND, bien entendu. Il n’est pas besoin de détailler ce point, et le lien avec la violence intrinsèque à ces chansons. (13/341)
Après ces rappels préliminaires assez évidents, qui démontrent donc sans qu’il soit besoin d’approfondir que le machisme et le virilisme constituent le cadre de ce groupe, il apparaît utile de revenir sur quelques exemples historiques de culpabilisation musicale des femmes. (14)
L’on pourra se référer notamment à la bibliographie suivante :
[3] Laurence-Ombeline de Saint-Germain, « Quitter Jacques Brel, le début d’un harcèlement », 2014 (prix de thèse de l’association Lallab) (15/341)
[4] A. B., « Is Sting Watching me? Testimony of a Victim »
[5] Françoise Héritier, « Le Requiem pour un Fou de Johnny, ou l’affligeante banalisation du féminicide dans une société carniste »
(16/341)
Et surtout, de façon extrêmement fouillée,
[6] Christiane Delphy, « Claude Nougaro, “Ah tu verras tu verras”, et les menaces implicites en chanson : retour sur un particularisme français dans l’approche genrée du harcèlement musical »
(17/341)
Bien sur, ces quelques ouvrages sont des grands classiques qui sont généralement étudiés au cours des premiers mois d’études de genre à l’université. J’en recommande vivement la lecture aux « not all men » et autres antisciences. (18/341)
Dans l’ensemble de ces écrits, plusieurs constantes ressurgissent. Dans la suite de ce thread, nous montrerons qu’elles sont présentes, de façon gravement accrue, dans l’« œuvre » des Scorpions. (19/341)
En premier lieu, la perspective ne change guère. L’artiste est systématiquement un homme blanc cisgenre et hétérosexuel, qui s’adresse à une femme. (20/341)
On ne manquera donc pas de s’indigner devant la surreprésentation évidente de cette catégorie multiprivilégiée dans ce genre musical financièrement profitable, ce qui ajoute une oppression financière aux oppressions sexuelles, raciales et genrées. (21/341)
En second lieu, l’objectif systématique du mâle blanc cis-hétéro est de brimer l’expression de puissance, c’est-à-dire la ré-affirmation identitaire de la femme victime. Notons à ce titre que rupture = rup+ture, c’est-à-dire rape + τυρεύω, soit « fromage de viol ». (22/341)
La rupture est donc l’acte qui consiste, pour la femme opprimée dans le couple déséquilibré, à transformer en quelque chose de positif (c’est là l’image du fromage, où le lait, produit d’une maternité aliénante est transformé en source de plaisir) (23/341)
l’objet de ses souffrances quotidiennes — « rape », qui caractérise l’acte sexuel dans le couple cishétérosexuel qui ne peut, par nature, pas être consenti du fait de l’oppression systématique ([5], p. 267). (24/341)
Afin d’entraver la réaffirmation que permet la rup-ture, l’homme blanc cis hétéro déploie toute sa perversité en déployant plusieurs forces à l’encontre de sa victime, forces que nous pouvons passer en inventaire ici. (25/341)
La première de ces forces est la capacité de séduction. Le musicien est généralement une personne attirante intellectuellement et physiquement, c’est une constante. (26)
En abusant de cette aura, des simuli endocriniens que déclenchent la respiration de ses phéromones [7], et de l’attirance sexuelle que lui confère son charme le musicien déclenche (27/341)

[7] Je recommande le visionnage intensif des vidéos de Marion Seclin pour mieux comprendre
un processus, couramment banalisé sous le nom de « séduction », mais qui ne peut mener qu’au viol. En effet, ce processus, qui modifie l’état psychologique de la victime, conduit à lui faire accepter une relation qu’elle n’accepterait pas en tout autre cas. (28/341)
En effet, il faut rappeler qu’au-delà de la définition juridique qui est intrinsèquement patriarcale (ce n’est que depuis 1980 que le viol non-vaginal est reconnu, et que depuis 1994 que le viol conjugal l’est, ce qui est logique puisque le code pénal napoléonien date d’une
conception dans laquelle le viol est une atteinte aux intérêts de l’époux de la victime, et non de la victime elle-même, voir à ce sujet les recherches historiques de Françoise Héritier là encore), le viol devrait, toujours sous un angle idiosyncratique et déconstructif, être
défini plus largement comme la situation dans laquelle la victime prend part à une relation sexuelle à laquelle elle n’aurait pas concouru, de façon libre et éclairée en l’absence de toute influence extérieure altérant sa faculté de juger, au sens kantien du terme. (31/341)
Nous reviendrons ultérieurement sur cette caractérisation importante. Ce qu’il convient d’en retenir, c’est que le processus banalisé sous le terme de séduction, qui consiste en réalité à pousser la victime à sécréter diverses hormones altérant sa capacité de juger (32/341)
jusqu’à ce qu’elle accepte un acte sexuel qui aurait été refusé si elle lui avait été proposée sur-le-champ, est homotopiquement équivalente à l’injection d’une substance chimique ou à l’alcoolisation préméditée visant à provoquer le viol. (33/341)
Cet aspect est très largement étudié dans [8] Emma, « entretiens avec Naffissatou Diallo en bande dessinée ». (34/341)
Ainsi, l’arme qu’est la capacité dite de séduction, dont sont naturellement pourvus ces chanteurs, et qui leur permet de renforcer leur capacité à provoquer un viol, joue un rôle majeur dans le processus oppressif et aliénant de la chanson dite d’amour. (35/341)
De même que dans Still Loving You, le chanteur déclare « try to trust in my love again », parallèle évident avec l’alcool qui donne confiance en soi, Claude Nougaro annonçait déjà son intention morbide en chantant, dans « Marie-Christine » : (36/341)
« nous sommes saouls, saouls, saouls ». Par un renversement du stigma, le pervers manipulateur tente lui-même de faire croire que sa capacité de jugement est altérée, et ainsi de minimiser sa propre responsabilité dans le processus macabre qui est à l’œuvre. (37/341)
Évidemment, comme toujours lorsqu’il s’agit d’oppression des femmes, la domination occidentale n’est jamais loin, cela a été magistralement démontré par Angela Davis. Ainsi, les Scorpions font référence à « build a wall ». En 1984, en Allemagne, la référence à (38/341)
l’impérialisme américain en Allemagne de l’Est est triviale. Ce qui est gênant est davantage le fait que l’oligarchie soviétique n’y ait guère réagi, démontrant en réalité son alliance objective avec le régime capitaliste, et illustrant que la faillite de l’URSS… (39/341)
…ne saurait être assimilée à une faillite du communisme. (40/341)
En aparté, j’en profite pour signaler qu’il est nécessaire de mettre en perspective cette construction historique de « faillite de l’URSS » imposée par l’historiographie dominante au début des années 1990. En URSS, le communisme a permis des progrès sociaux importants (41/341)
notamment en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, alors que les besoins alimentaires des hommes sont plus élevés que ceux des femmes en raison de l’oppression millénaire dont elles sont victimes (cf. [9] Héritier et Touraille, Hommes grands, femmes petites)…
l’URSS, dans une volonté d’action affirmative (ou, selon la terminologie réactionnaire, discrimination positive), accordait le même nombre de tickets de rationnement aux hommes et aux femmes. Cette situation illustre le rôle de fer de lance de l’URSS dans la lutte (43/341)
pour l’égalité des sexes, des races et des peuples dans le monde entier, et plus généralement la victoire du communisme en la matière. Plus généralement, je recommande les écrits d’Olivier Berruyer pour déconstruire les mythes occidentalistes sur l’URSS. (44/341)
Fin de l’aparté, donc.
Le chanteur dispose d’un troisième élément à son crédit, à savoir son public. Par la chanson, il médiatise, en abusant de son point de vue, la relation toxique qu’il entretient avec sa victime. (45/341)
L’on fait alors le premier pas de la dynamique harcelante — cyberharcelante, même, à l’époque de Youtube. Pour approfondir cela, il est utile de se pencher sur les enseignements du droit pénal australien, qui a relativement bien cerné la question et sert de référence. (46/341)
La porosité entre harcèlement musical et harcèlement réel est importante, et c’est souvent le droit lui-même qui, discipline par nature oppressante et réactionnaire, permet de faire le lien. C’est bien sûr la chanson Kim/Bitch So Wrong d’Eminem qui constitue l’aboutissement. (47)
Mais si ce cas extrême vient d’Eminem, Scorpions, dans une complicité de classe entre mâles blancs cis-hétéros, ouvre largement la voix en contribuant à la banalisation de ce mal. (48)
Cette première revue de littérature, toutefois, soulève plusieurs questions, auxquelles nous tenterons de répondre.
En premier lieu, celle de la temporalité de la dynamique oppressive. Autrement dit, est-ce la cismalblanchité du chanteur qui fait de lui un bourreau (49/341)
ou au contraire son caractère oppresseur au sein du couple qui l’entraîne invariablement vers le groupe dominant ?
En second lieu, comment l’absence physique aussi bien que psychique de la victime, selon un processus de « strawman institutionnel » bien documenté, (50/341)
doit-elle être interprétée ? Relève-t-elle de la construction sociale, ou d’un mutisme imposé par la violence du bourreau ?
Et surtout, ce sont les rapports complexes entre le caractère de phénomène de société de la chanson et le patriarcat qui devront être explorés (51/341)
Une première analyse, ligne à ligne, de la chanson de Scorpions, apparaît être un prérequis essentiel pour cela. (52/341)
« Time, it needs time »
Dès le début, apparaît la personnalité toxique du parolier. Celle-ci se présente de trois façons. En premier lieu, dans un rappel de ses BESOINS. « it needs ». L’égoïsme autocentré est déjà présent. (53/341)
En second lieu, dans une tentative de dé-subjectivisation grossière. Car derrière ce « it » qui tente de faire passer pour une vérité objective le désir de l’auteur, se cache le procédé classique par lequel la perspective masculine et blanche devient la norme (54/341)
Surtout, en troisième lieu, le rapport maladif au temps alerte.
Rappelons que les liens entre harcèlement, possessivité, fragilité masculine et rapport non-adulte au temps sont longuement documentés [10].

[10] Voir note 65, p. 13 sous l’Essai sur les données immédiates (55/341)
de la conscience aux éditions Roujénwar.

Ce lien a fait l’objet d’études détaillées, à la fois dans la chanson (Léo Ferré, Avec le temps ; Luc Plamodon, Il est venu le temps des cathédrales), et surtout dans la littérature. (56/341)
L’idéal-type dans les liens temps / harcèlement se trouve, sans nul doute, dans la nouvelle Sylvie de Gérard de Nerval [11].

[11] Najat Vallaud-Belkacem, « une lecture féministe de la littérature du XIXe siècle : plaidoyer pour une réforme interdisciplinaire de l’école ».
Plus généralement (TW), l’ensemble du recueil de nouvelles, « les filles de feu », constitue un agrégat de pépites sexistes de la pire espèce. La décision de le placer au programme de certains concours en 2013, alors que le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon,
était lui-même un homme blanc, avait d’ailleurs déjà alerté les observateurs les plus fins sur la dérive réactionnaire du quinquennat François Hollande, avant même l’affaire Dieudonné et la vague d’islamophobie de 2015.
« To win back your love again »
Ce seul vers est un concentré de machisme. C’est en soi honteux qu’une maison de disque ait décidé de poursuivre la lecture du projet de chanson après ce deuxième vers, alors que dire du fait d’être allé jusqu’à la commercialisation ? (60/341)
Tout y est. Depuis l’objectification des femmes, vues comme un trophée (« win »), jusqu’à la pression de l’amour, oppressante pour les aromantiques, en passant bien entendu par la classique référence à la sodomie qu’évoque le mot « back ». (61/341)
Il y aurait beaucoup à dire, mais je pense qu’il est inutile de s’attarder, ce d’autant que je ne suis moi-même pas concerné, ce qui fait obstacle à ce que j’en dise davantage. (62/341)
En revanche, si une femme acceptait de prolonger cette partie de l’analyse sous son prisme typiquement féminin donc plus proche de la nature, ce serait probablement une bonne chose. (63/341)
« I will be there ».
Déjà, la phrase est répétée deux fois. Cela ne peut que renforcer son caractère oppressif et effrayant, c’est une évidence. (63/341)
On trouve aussi une citation indirecte, toujours révélatrice de la complicité de classe et de genre, avec une autre des œuvres évoquées préalablement, à savoir « Every Breath you Take », de Sting [4]. Le lien est manifeste entre « I will be there / watching you ». (64/341)
La complicité fonctionne d’ailleurs dans les deux sens. Sting, lui-même, en 1983, faisait, réciproquement, référence à la chanson des Scorpions qui allait sortir en 1984. L’oppression et la convergence des dominations sont intemporelles. (65/341)
(Pause, je vais acheter du pain. Je suis désolé, c’est un symbole phallique et je contribue à l’exploitation d’un salarié de la boulangerie le dimanche, mais c’est plus important que je puisse vous éclairer sur la domination musicale. (66/341))
(Bon en fait je m’arrête là, c’est rigolo d’écrire des conneries, mais ça prend du temps. Bonne soirée les zouzous, et n’oubliez pas de lire de la socio. 👀 )
@threadreaderapp unroll please
You can follow @Mac_Picsou.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled:

By continuing to use the site, you are consenting to the use of cookies as explained in our Cookie Policy to improve your experience.