(1/n) J'en ai marre que l'on compare le rendement des propositions de hausses d'impôts (ou de baisses des dépenses) avec un coût de la crise de "plusieurs centaines de milliards d'euros" pour en conclure que tout cela serait au mieux symbolique, au pire inutile. https://twitter.com/LEXPRESS/status/1339265863287975936
Cela revient encore une fois à comparer un flux annuel (le rendement d'une hausse d'impôt ou d'une baisse de dépense) à un stock (les 20 points de PIB de dette publique supplémentaires liés à la crise, soit effectivement "plusieurs centaines de milliards d'euros").
En réalité, cette comparaison n'a pas grand sens : il faut rapporter un flux à un flux. Autrement dit, il faut comparer le rendement des propositions de hausses d'impôts ou de baisses de dépenses à l'effet de la crise sur le déficit public, et non sur la dette !
Logiquement, la crise est susceptible de peser sur le déficit public en augmentant les dépenses publiques et/ou en diminuant les recettes publiques.
Sur le plan des dépenses publiques, c'est la charge d'intérêt sur le surcroît d'endettement lié au Covid qui importe.
Bonne nouvelle : pour l'instant, la charge de la dette n'a pas augmenté puisque l'on emprunte en moyenne à un taux légèrement négatif (- 0,4 % à 10 ans) ! Et cela va durer un long moment puisque la maturité moyenne de la dette française est désormais supérieure à 8 ans.
Qu'en sera-t-il lorsqu'il faudra refinancer la dette Covid sur les marchés ? Cela dépend de l'évolution des taux d'intérêt.
Je viens de regarder les dernières prévisions : les banques et instituts de conjoncture anticipent un coût d'emprunt à 10 ans pour la France de 1,4 % sur la période 2026-2030, tandis que les marchés financiers tablent plutôt sur une remontée à seulement 0,2-0,3 %.
Si l'on part sur une hypothèse centrale de 1 % pour fixer un ordre de grandeur, ça veut dire qu'il faudra, à moyen terme, payer chaque année en intérêts 1 % sur 20 points de PIB d'endettement lié au Covid, soit 0,2 point de PIB de déficit supplémentaire.
Pour donner un ordre de grandeur, la réforme de l'ISF a coûté environ 3,5 milliards d'euros, soit 0,15 point de PIB. Revenir dessus serait donc presque suffisant pour couvrir le surcroît de charge d'intérêt lié à la dette Covid à moyen terme ! Tout sauf "symbolique", donc.
Mais attention : la crise est aussi susceptible de peser sur les recettes publiques, si elle se traduit par une perte définitive de capacité productive (= baisse permanente du PIB) du fait des faillites, de la perte d'employabilité des chômeurs, etc.
Car moins de création de valeur, c'est moins de taxes et d'impôts qui rentrent. Les économistes estiment ainsi que pour chaque point de PIB en moins, le déficit public de la France s'accroît de 0,6 point de PIB.
D'où la question que tout le monde se pose : quel sera l'effet durable de la crise sur le PIB ? Difficile à dire. En général, pour les grosses crises, entre 10 % et 25 % du choc initial sur le PIB se traduit par une perte définitive de capacité de production.
Ça rejoint d'ailleurs les hypothèses récentes des institutions internationales et du Gouvernement, qui considèrent que la crise sanitaire devrait se traduire par une perte définitive de PIB en France située entre 1 % (OCDE) et 2,3 % (Gouvernement).
Si l'on retient là encore une hypothèse médiane, on aurait donc une perte définitive de PIB de l'ordre de 1,65 points de PIB, ce qui accroîtrait le déficit public de la France de 0,6*1,65 = 1 point de PIB.
Au total, à titre d'ordre grandeur, l'effet de la crise sur le déficit public à moyen terme pourrait donc être de l'ordre de 1,2 point de PIB, soit actuellement environ 30 milliards d'euros. On est donc très loin de "plusieurs centaines de milliards d'euros".
C'est beaucoup évidemment mais ça permet aussi de donner des ordres de grandeur de ce que ça pourrait représenter comme effort en sortie de crise.
Par exemple, revenir sur la réforme de l'ISF rapporterait environ 3,5 milliards d'euros, soit un peu plus de 10 % de l'effort à réaliser. Ce n'est pas rien, même si ce serait insuffisant.
Par comparaison, une hausse de 1 point de la TVA rapporterait 7 milliards d'euros pour le taux de droit commun (20 %), soit un quart de l'effet de la crise sur le déficit à moyen terme.
On peut également regarder ce que ça donnerait du côté des retraites, qui semblent être dans le viseur du Gouvernement.
Ainsi, Bercy estime que reporter de deux ans l'âge légal de départ à la retraite permettrait d'économiser 0,8 point de PIB à terme, soit deux tiers de l'effet estimé de la crise sur le déficit.
Bien sûr, il ne s'agit que d'ordres de grandeurs mais je pense que l'on peut tirer au moins trois enseignements utiles de ce type de réflexion.
1/ Le coût de la crise pour les finances publiques dépend d'abord de notre capacité à préserver le tissu productif (= et donc le PIB). Ça vaut donc le coût de prendre des mesures de soutien temporaires pour sauver l'économie.
2/ Si l'on en croit les marchés et les instituts de conjoncture, la charge de la dette Covid devrait rester très modérée dans les années à venir. Il n'y a pas de raison de paniquer en voulant à tout prix réduire le déficit alors que la crise est loin d'être finie. On a le temps !
3/ Ramener le déficit public à son niveau d'avant-crise demandera un effort réel mais pas inhumain. Il faut arrêter de se faire peur en se focalisant uniquement sur les "centaines de milliards de dette" liées à la crise.
Dernière remarque : le raisonnement suppose que toutes les dépenses de soutien soient temporaires (= qu'elles ne pèsent pas durablement sur le déficit), un point sur lequel la Cour des comptes et la Banque de France ont beaucoup insisté.
D'où l'opposition de nombreux économistes à la baisse des impôts de production...
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