Petite et brève histoire de la Bretagne via ses musiques - Un Thread
Je ne suis pas historien, ce thread est juste un bref aperçu peu précis et très relativement fiable de la grande histoire de la Bretagne, qui me sert surtout à présenter différentes chansons bretonnes pas forcément connues.
J'aurai pu commencer ce thread par la Tribu de Dana, de Manau, car cette tribu serait la tribu mythologique à l'origine des Celtes, fondée par la déesse Dana. Sauf que Manau c'est de la merde, donc je ne vous ferai pas subir ça. Commençons plutôt par le VIè siècle.
A cette époque, les raids bretons étaient fréquents, notamment dans la province de Nantes. Au delà des attaques pour raisons territoriales et matérielles, ils pratiquaient également la "vendange armée", selon les mots de Grégoire de Tours:
Ce serait de cette époque que date le Gwin ar C'hallaoued ("le vin des Gaulois"), chant collecté au XIXè par De la Villemarqué dans son Barzaz Breizh. Ce recueil est extrêmement important, car c'est de lui que proviennent la quasi totalité des chants bretons que vous connaissez.
Un chant aux tonalités très brutes, dû à son contexte.
Ici chanté par le groupe Kan ar Vro.
Voici la traduction des paroles.
C'est une chanson très violente, et le thème de la guerre est omniprésent, thème que l'on retrouve dans beaucoup de chants bretons, la Bretagne étant particulièrement marquée par de nombreuses guerres au fil de son histoire.
Le territoire breton va énormément s'étendre sous les différents rois, après la victoire de Nominoë face à Charles le Chauve, roi de Francie Occidentale, en 845 qui permet une émancipation complète des royaumes de Bretagne, puis du Royaume de Bretagne sous son fils Erispoé en 851
Cependant les invasions normandes mettent un terme à cette volonté d'unification de la Bretagne sous un roi. Malgré les victoires militaires et diplomatiques du roi Salomon, qui étend le territoire et stoppe la menace scandinave, la Bretagne perd le Cotentin après son assassinat.
Alan le Grand lui succèdera, et amènera une paix instable, alors que les scandinaves lanceront une politique de colonisation qui durera de 907 à 937 mais échouera. Le retour d'Alain Barbetorte, descendant royal exilé en Grande-Bretagne, changera la donne.
Alain, surnommé Le Renard, va débarquer près de Dol-De-Bretagne en 936 et mener une campagne éclair contre les Normands, allant de victoire en victoire, et descendant sur Nantes où se livrera la bataille finale. Il est alors nommé Duc de Bretagne, régnant jusqu'en 952.
C'est sur cette histoire que se base la chanson de Tri Yann "Le Renard", chanson récente, écrite en 1990, mais qui suit toujours cette tradition de chants sur le thème de la guerre, et célébrant l'indépendance du pays.
Dans le thème du retour d'un sauveur, et unificateur, de la Bretagne, chassant les envahisseurs, il existe également le chant traditionnel An Alarc'h, récolté dans le Barzaz Breiz, qui évoque le retour triomphal du Duc Jean IV, exilé 6 ans plus tôt suite à une révolte de
seigneurs pro-français, avec notamment la participation de DuGuesclin, connétable de France. Les Français tentent alors d'annexer la Bretagne et le roi place son frère à la tête du Duché. Mais Jean IV débarque à Dinard en 1379 et bat les Français, y mettant un terme.
La version ci-dessus, chantée par Alan Stivell, est grandement incomplète, le texte du Barzaz Breiz étant beaucoup plus long. De plus, le chanteur y a ajouté un couplet sur le "gwen ha du", drapeau breton. Ici les paroles complètes:
Là aussi un chant très guerrier, mais la Bretagne médiévale ce n'est pas que cela, c'est également des légendes et des mythes très vivaces, dûs à l'héritage celtique mais pas uniquement, car aussi importés par les scandinaves et les romains. Comme ici.
Complainte dont l'origine est très disputée, mais que l'on retrouve majoritairement en Bretagne et dans les régions avoisinantes, bien qu'elle se soit répandue dans toute la France ensuite.
Je profite du titre de l'album de Tri Yann "suite galloise" pour rappeler que linguistiquement et ethniquement les Bretons sont bien plus proches des Gallois que des Irlandais et des Ecossais.
La conquête extrêmement violente de la Bretagne par les Français, puis le mariage forcé d'Anne de Bretagne en 1491, pourtant déjà mariée en 1490 au roi des Romains Maximilien 1er, à Charles VII malgré les réserves du Pape, entament la fin de l'indépendance du Duché.
7 ans plus tard, Charles VII meurt et Anne commence à rétablir la souveraineté du Duché mais se retrouve forcée d'épouser le nouveau roi de France Louis XII à cause de son précédent contrat de mariage. Cependant elle maintient la souveraineté de la Bretagne jusqu'à sa mort en
1514. Le rattachement de la Bretagne à la France se fera 18 ans plus tard. Lors de sa mort, un poème fut écrit, qui fut par la suite interprété en chanson par Tri Yann (encore et toujours eux).
Voici le poème original, écrit par un anonyme
De la fin du XIVè siècle jusqu'au XVIè voire XVIIè siècle, la Bretagne voit sa puissance maritime se décupler, et les navires marchands bretons sont omniprésents dans la Manche et dans la mer du Nord; on voit des navires bretons tout autour du monde, de la Méditerranée
Jusqu'au Nouveau Monde. La Bretagne profite de sa situation privilégiée, moins taxée que le reste de la France, et voit ses richesses s'accroitre. L'industrie se développe dans le même temps. Saint-Malo devient tellement riche que la ville déclare son indépendance.
Je reprends ce thread tout de suite après.
Donc Saint-Malo déclare son indépendance et fonde la République de Saint-Malo en 1590, et acceptera de redevenir Française uniquement après des négociations comprenant une forte baisse des taxes en 1594.
Il y a quelques volontés d'indépendance bretonne, mais la conscience nationale n'est pas suffisamment forte pour les faire émerger de manière importante. La conspiration du Marquis de Pontkalleg, révolte antifiscale menée par un marquis vaurien, échoue lamentablement.
Elle sera cependant récupérée sous forme de chant traditionnel faisant du marquis un martyr de la cause bretonne, et recueillie (encore) dans le Barzaz Breiz.
Ici la traduction des paroles.
Le thème du sentiment de révolte envers la noblesse se retrouvait également dans la poésie bretonne, tel que dans le poème de Jean Meschinot "Princes qu'en mains tenez", ici interprété par Tri Yann
Les paroles. Texte datant de 1420.
Une autre révolte fiscale importante se produira le 18 avril 1675, celle des Bonnets Rouges. Réprimée extrêmement violemment par Louis XIV, qui décapitera des clochers dans tous le pays bigouden, elle se révélera être un prélude à la Révolution Française, où la zone réprimée
se distinguera par son fort républicanisme. La mémoire de la révolte des bonnets rouges est restée très vive dans l'imaginaire breton, en témoigne sa résurgence lors du mouvement des Bonnets Rouges en 2013.
A la révolution, les choses se corsent. La Bretagne possède une grande population jacobine, mais également une large population rurale très catholique, qui se révoltera avec la chouannerie.
En hommage aux Chouans, Théodore Botrel écrira cette chanson en 1899.
Du côté jacobin, on recrute en masse pour défendre le pays. C'est à cette période qu'est écrite la lettre de Pelot de Betton, soldat républicain.
Cette lettre sera adaptée en chanson par Tri Yann, qui en changera le nom (elle devient "Pelot d'Hennebont") et les paroles.
Betton/Hennebont pas vraiment le même endroit
Puis vint le XIXè siècle, la galvanisation des identités nationales. Arthur de la Borderie écrit une histoire épique de la Bretagne, Théodore de la Villemarqué fait le tour de la Bretagne pour y collecter les chants traditionnels et écrire son Barzaz Breiz.
L'identité bretonne s'affirme et se crée. Le XIXè siècle c'est aussi la révolution industrielle, que les Bretons ratent. Ils se retrouvent obligés d'émigrer à la capitale pour trouver du travail, des centaines de milliers de bretons s'exileront en un siècle.
A Paris ils seront moqués, c'est la naissance du terme "plouc", pour désigner ces paysans bretons guère adaptés à la mode parisienne. Ils sont exploités, vivent dans des conditions insalubres. Mais la vie de ceux restés au pays n'est pas plus simple, la France s'étant
lancée dans une campagne pour éradiquer l'identité bretonne. Le Breton et le gallo sont conspués, dans les écoles un enfant qui parle une de ces langues sera puni.
En 1870 éclate la guerre franco-prussienne. L'Armée de Bretagne est créée, constituée de militaires venant de toute la Bretagne. 50 à 60 000 hommes sous la direction de Keratry sont parqués au camp de Conlie, attendant les ordres de Gambetta.
Ce dernier a peur d'une armée de Bretagne, la mémoire des Chouans est encore vive, et leur fournit le pire armement possible. 4000 vieux fusils. Tellement vieux qu'ils explosaient lorsqu'utilisés. Pour 60 000 soldats. Avec des munitions tout aussi qualitatives.
Le camp de Conlie prend l'eau, les Bretons sont forcés de vivre embourbés dans les pires conditions. Ils attrapent maladie après maladie. Puis Gambetta les place à l'avant de l'armée française lors de la bataille du Mans,alors qu'ils n'étaient censés être qu'une armée de réserve.
Les Bretons sont massacrés. Lorsqu'ils rentrent en Bretagne, l'armée est en lambeaux et ressemble plus à une bande de vagabonds qu'à des soldats. Cet évènement marquera durablement la mémoire bretonne, comme en témoigne cette chanson.
Kerfank signifie "le camp de boue", surnom donné à Conlie par les soldats bretons.
Le début de la chanson vient d'une anecdote; lorsque Marivault vient inspecter le camp il est accueilli aux cris de "D'ar gêr!", et comprend que les Bretons sont pressés d'aller à la guerre,
se déclarant impressionné par leur motivation. Excepté que "D'ar guêr" signifie "à la maison", les Bretons le suppliaient en réalité de rentrer chez eux, de les laisser quitter cette situation invivable.
Les années passent, mais l'identité bretonne reste et s'affirme. Il y a une fierté d'être Breton, et elle ne s'éteindra pas comme cela, on peut le voir dans ce très beau poème d'Anjela Duval.
Vinrent les années 70, et la vague de regain régional qui s'empara de la France, mais c'est surtout en Bretagne qu'elle réussit à s'implanter de manière pérenne, avec des chanteurs comme Tri Yann, Gilles Servat, Alan Stivell, qui devinrent extrêmement populaires.
La chanson La Blanche Hermine, écrite durant cette période, est aujourd'hui connue de tous, et poursuit cette tradition bretonne de chants guerriers relatant la lutte contre la France.
D'anciens chants sont adaptés de manière moderne, le Gwin ar C'hallaoued devient un chant de résistance contre la mise en place d'une centrale nucléaire sur la Pointe-Du-Raz.
En 1978, après la pire marée noire qu'ait pu connaitre la Bretagne, causée par l'Amoco Cadiz, qui marquera durablement les esprits, Tri Yann écrit cette chanson
Aujourd'hui, la relève est là, les chants bretons sont encore modernisés, par des chanteurs comme Nolwenn Leroy (berk), Les Ramoneurs de menhir, ou encore Denez Prigent.
On retrouve même de la musique traditionnelle bretonne (un gwerz, chant de lamentation) dans South Park!
L'Histoire de la Bretagne n'a pas fini de s'écrire, et de se chanter, et c'est à nous Bretons de la faire vivre et de la perpétuer, afin que Bretagne jamais ne meure.
Merci d'avoir lu ce très long thread, félicitation si vous êtes arrivé jusque là (Un petit retweet serait pas de refus)
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