L'éffémination du Prince
Hier soir j'étais avec @Iberonrv et @CamaradeCharles sur la radio de @Oscar_LaFrance pour parler de virilité et des discours viriliste. J'ai vaguement évoqué l'envers de la médaille virile, à savoir l'éffémination, je voudrais développer à ce sujet.
Hier soir j'étais avec @Iberonrv et @CamaradeCharles sur la radio de @Oscar_LaFrance pour parler de virilité et des discours viriliste. J'ai vaguement évoqué l'envers de la médaille virile, à savoir l'éffémination, je voudrais développer à ce sujet.
On oppose généralement l'éffémination à la virilité, on retrouve cette idée à travers des expressions telles que "fais pas ta gonzesse", "femmelette" etc. Ce sont des invectives qui exaltent la virilité en rabaissant la féminité chez un homme, l'éffémination donc.
Mais loin de n'être que l'expression d'une grivoiserie patriarcale et misogyne populaire, on retrouve cette idée dans la littérature occidentale et notamment latine depuis fort longtemps. Le premier exemple qui me vient à l'esprit est celui de Machiavel.
Dans Le Prince, on trouve plusieurs passages dans lesquels il fustige l'éffémination, enjoignant le prince à s'en éloigner pour conserver son autorité et in fine, ses états. Pour lui, l'éffémination est une source de mépris, or il faut être aimé, ce qu'il explique au chapitre 19:
C'est même, si l'on en croit Machiavel, la cause de la chûte de l'empereur Sévère Alexandre [règne: 222 - 235], mort assassiné par son armée à cause de son amollissement et de sa soumission à sa mère, ce en dépit de sa réputation de sagesse et de son pacifisme appaisant.
L'éffémination est même une stratégie à employer pour se maintenir à la tête d'un état nouvellement conquis, il s'agit de favoriser l'éffémination et la mollesse chez les nouveaux sujets afin d'éteindre toute volonté de révolte:
On voit bien que chez Machiavel, l'éffémination est redoutable, le Prince doit s'en éloigner pour se maintenir mais aussi la favoriser à l'occasion chez l'adversaire, toujours pour se maintenir. Cela apparaît comme une source d'inaction et de soumission.
Si la lecture du Prince vous intéresse, il s'en trouve une édition sur Wikisource, la voici (même si vous ne souhaitez pas conquérir d'état et vous y maintenir, c'est une lecture très intéressante): https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Prince
Cette idée de faiblesse intrinsèquement liée au caractère féminin d'une chose, notamment en politique, on la retrouve chez le philosophe fasciste Julius Evola qui oppose l'aristocratisme viril (comme idéal) à la démocratie féminine (dont il faut se défier).
La virilité c'est imposer ses vues tandis que la nature de la femme est dans le compromis qui aboutit à la mollesse des institutions, chose qu'il déplore et fait remonter au développement du christianisme, religion féminine et dévirilisante.
Toutefois la virilité d'Evola ne doit pas être comprise dans son sens habituel, il se s'agit pas de "porter ses couilles" et de gonfler le torse comme certains youtubeurs virilistes vous invitent à le faire, mais de "virilité spirituelle".
Toutes ces questions sont contenues dans son essai "Métaphysique du sexe" que vous pouvez consulter à cette adresse: https://ia801301.us.archive.org/0/items/EvolaFR/Julius%20Evola%20-%201958%20-%20M%C3%A9taphysique%20du%20sexe.pdf
Comme je l'évoquais hier, la question de l'éffémination traverse également la littérature et notamment le roman du XIXe siècle, je pense aux personnages de Lucien de Rubempré chez Balzac, Maxime Saccard chez Zola et Des Esseintes chez Huysmans.
Dans Les illusions perdues, Lucien est un personnage sensible dont le séjour à Paris éveille en lui des attitudes de dandy opulent (en dépit de ses finances plus que bancales):
Le de Marsay dont il est question et qui figure un modèle pour Lucien est un élégant viveur bien installé dans l'aristocratie parisienne caractérisé par "une beauté de jeune fille, beauté molle, efféminée". C'est un arriviste à la morale plus que douteuse.
Dans "Splendeurs et misères des courtisanes" Lucien entretiendra par ailleurs une relation assez ambiguë avec Vautrin, un personnage dont l'homosexualité est attestée.
Le caractère de Lucien, traduit par son éffémination, est la source de toutes les misères de sa soeur Eve et de son beau-frère et meilleur ami David Séchard. Rappelons que chez Balzac, la construction physique, vestimentaire et morale des personnages n'est pas un hasard.
Tout ceci est compris dans la construction de ses personnages relativement aux principes en vogue de physiognomonie à partir de la quelle il développe entre autres la vestignomonie.
source des deux premières images:
http://balzac.cerilac.univ-paris-diderot.fr/wa_files/Balzacpeintredecorps.pdf
Source de la troisième (Traité de la vie élégante - Balzac):
https://fr.wikisource.org/wiki/Trait%C3%A9_de_la_vie_%C3%A9l%C3%A9gante/Trait%C3%A9_de_la_vie_%C3%A9l%C3%A9gante
http://balzac.cerilac.univ-paris-diderot.fr/wa_files/Balzacpeintredecorps.pdf
Source de la troisième (Traité de la vie élégante - Balzac):
https://fr.wikisource.org/wiki/Trait%C3%A9_de_la_vie_%C3%A9l%C3%A9gante/Trait%C3%A9_de_la_vie_%C3%A9l%C3%A9gante
Chez Zola et notamment dans La Curée, c'est le personnage de Maxime qui est affublé d'un caractère efféminé et cette fois perfide.
En effet, il rejoint son père Aristide Saccard à Paris et est éduqué par sa belle-mère à peine plus âgée, avec laquelle il finit par avoir une relation pseudo-incestueuse qui mène la femme à sa mort. Dans cette relation c'est Renée, la belle-mère, qui dispose du caractère viril.
Pour finir avec Huysmans, on remarque dès les premières lignes de son chef-d'oeuvre "A rebours" que la chute de la lignée dont des Esseintes est l"héritier est le résultat de l'éffémination et de la consanguinité. La boucle est bouclée.
Les des Esseintes sont passés en quelques générations de fiers soudards virils, soldatestes au possible à une "fin de race" tarée et éfféminée. Aussi on voit bien que cette notion d'éffémination comme source d’opprobre a traversé les siècles.
La figure du dandy, androgyne et effeminé, autrefois controversée et même conspuée fait désormais relativement recette, notamment auprès de la jeunesse, friande de mode vestimentaire et dont le dandy s'impose comme un être mythologique.