On demande à se faire rapporter du marché un peu de parmesan à râper et on se retrouve avec une jolie tranche toute fine de 4 mm d’épaisseur.

Comment voulez-vous râper un truc pareil ? Comment croire en ce pays ? Demain je demande l’asile politique au Vatican.
Toute ma vie je me rappellerai avec émotion la première fois que j’ai acheté du parmesan à Rome. Toute ma vie.
C’était à Rome, dans les Prati, au marché de la via Trionfale. Et c’était du vrai parmesan, affiné deux ans au moins, reconnaissable à sa chair granuleuse aux reflets d’airain.
J’ai demandé du parmesan. Le marchand a saisi une sorte de petite dague à la lame courte et pointue comme une feuille de laurier, semblable à celles qu’on utilise pour ouvrir les huîtres ou assassiner les Borgia.
Il a pris une meule. Une énorme meule entière, éventrée comme un membre de la famille susdite sur l’ordre de précédents commanditaires.
Il a planté sa lame au creux de ses entrailles, l’a glissée dans un interstice à peine visible, l’a fait tressaillir. Une fois. Deux fois. Trois peut-être, pas plus.
(Veuillez excuser cet interlude impromptu, dû à la nécessité d’aller mouliner ma « pasta e fagioli ».)
Où en étais-je ? Ah oui.
Le fromager descella, de la pointe de son poignard à Borgia, un petit bloc de parmesan dont la taille correspondait, par un de ces miracles issus de l’expérience, au poids que je lui avais demandé.
Comme un bloc de marbre de Carrare. Même grain, même sensualité, même géométrie hasardeuse issue des caprices de la terre.
Une merveille.
Il me l’a emballé dans un papier, je l’ai payé : à 30 000 lires le kilo, j’ai dû en avoir pour 8 000 ou 10 000 lires, c’est-à-dire pour 4 ou 5 euros, hors inflation. Difficile d’établir une comparaison, d’autant que le kilo de Borgia est de nos jours hors de prix.
Toujours est-il que je suis rentré chez moi avec l’impression d’avoir assisté à un petit bijou de sacrifice comme on n’en fait plus depuis la fondation de Carthage. (Que sont les offrandes à deux Baal devenues ?)
Fraîchement débarqué de ma France natale, je ne m’attendais pas à un tel cérémonial. Mon émerveillement fut absolu, surtout quand j’ai déballé ce petit rocher, que je l’ai observé, que j’en ai humé le parfum fauve et puissant et que je l’ai râpé.
Ce jour-là, j’ai compris que tout le secret de l’Italie réside dans de petites choses comme celles-ci.
Le parmesan ne se coupe pas en tranches comme une vulgaire mimolette de Prisunic, non.
Il s’assassine. Comme un Borgia. Il se taille. Comme un roc de marbre. Ainsi seulement nous offre-t-il son incomparable saveur.
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