Allez on y va, ma pire scène de crime.. Thread déconseillé aux mineurs et âmes sensibles.
Besoin d'en parler car j'y pense toujours.
C'était lors de mon 1er poste, sortie d'école, nommé juge d'instruction dans une petite ville de province.
3h du mat', le téléphone sonne, le parquet au téléphone, un meurtre vient de se commettre, il me propose de venir sur les lieux avec lui. Qqle soit le degré d'endormissement, le mot meurtre réveille aussi bien qu'un cocktail café /redbull.
La scène du crime se déroulait dans une petite banlieue, un peu grisâtre, des immeubles moches et sans âme, facile à trouver grâce aux girophares éclairant la nuit, tels des phares de mauvaise augure guidant le juge dans la nuit.
Je descends de la voiture, un policier vient m'accueillir. Il me dit de le suivre, le substitut m'attend plus loin près du corps. À son regard, je comprends qu'il me jauge. Il me dit que c pas beau à voir, une vraie boucherie. Je sens les battements de mon cœur qui s'accélèrent.
A l'ENM, on assiste à des autopsies, en stage police on va sur des découvertes de cadavre, en stage juridiction aussi. Mais là, c'est la 1ere fois que j'étais sans filet, sans maître de stage à mes côtés, c'était le grand bain et sans brassards. Soit on nage, soit on coule.
Je rejoins le substitut, un collègue sympa, un peu plus vieux que moi, la trentaine, je crois que ça lui faisait aussi du bien de pas être seul à ce moment là. Il est à côté du corps. Je jette un œil rapide, c'est un homme d'environ cinquante ans. Il est nu. Et mutilé de partout.
Le suspect a déjà été interpellé, il est parti à l'hôpital avec les policiers. On m'explique qu'il est complètement fou, qu'il attendait la police près du corps, que quand elle est arrivée, il leur a dit qu'il venait de tuer le diable.
Que le Malin était venu le voir, qu'il l'avait immédiatement reconnu et décidé de l'arrêter avant qu'il ne fasse du mal à quelqu'un. Qu'il l'avait assommé avec un coup de marteau à la tête. Et qu'ensuite, il s'était assuré de le mettre hors d'état de nuire.
Il lui avait ainsi arraché les yeux pour qu'il ne puisse plus voir. Les oreilles pour qu'il ne puisse plus entendre. Couper les tendons d'achille pour qu'il ne puisse plus marcher. Le sexe pour qu'il ne puisse plus se reproduire. Etc etc..
Il avait ensuite traîné le corps de son appartement jusqu'à dehors, où il avait essayé de le brûler et avait attendu qu'on vienne l'applaudir pour le remercier d'avoir débarrassé le monde du Diable.
Il avait été un peu surpris que la police l'emmène mais n'avait pas résisté.
Avec le substitut et un policier, on avait refait son cheminement à l'envers. Je gravissais les 4 étages à pied, suivant les traînées de sang.
Et le policier qui me disait de faire attention car il y avait ici un morceau de poumon, là un œil, un testicule..
J'avais l'impression d'être déconnectée de mon corps, de regarder la scène d'en haut, de manière totalement analytique. De m'être demandé si j'allais vomir ou tomber dans les pommes. De voir que non. De me demander s'il fallait que je m'en réjouisse ou que je m'en inquiète.
Je me souviens de mon collègue et du policier, autant remués que moi par ce qu'on voyait, mais essayant pareillement de rester détaché, de se raccrocher au boulot, de parler autopsie, UMJ, ouverture d'info, expertise psy.
Se maintenir à flot, rester rationnel devant une scène totalement surréaliste. J'ai pris à ce moment là conscience du job : si j'avais habité la résidence et avait vu ces images en tant que "civil", j'aurais hurlé, j'aurais vomi, pleuré.
Mais en tant que JI, professionnel, j'avais un boulot à faire, regarder cette scène sous l'œil procédure pénale, guider les OPJ, discuter avec mon collègue des choses à faire. Penser commission rogatoire, scellés, expertises.
Autant de mots concrets, de gilets de sauvetage
M'empêchant de perdre pied et de me noyer.
Car quelque soit la formation, l'expérience, personne n'est jamais préparé à voir des choses comme ça. On fait face, on fait le job, mais à l'intérieur on encaisse du mieux qu'on peut, avec la peur de s'effondrer d' un moment à l'autre.
On se surprend à constater qu'on est toujours debout et plutôt opérationnel, on écoute, on parle, et pour dire des choses plutôt intéressantes. On ne se reconnaît pas : qui est cette personne penchée au dessus d'un cadavre en miettes, discutant blessure post-mortem ?
Je me souviens de l'autopsie, réalisée très rapidement. Le médecin légiste, un vieux briscard de 70 balais, il aurait dû être en retraite mais continuait le job par passion. Et aussi parce que personne ne s'était présenté pour le remplacer dans ce coin paumé.
On était 3 autour du corps, le médecin, le substitut et moi.
Le doc qui regardait le corps, la boîte dans laquelle les TIC avaient déposé tous les morceaux retrouvés un peu partout.
Et je l'entends nous dire : "vous avez de la chance, j'ai été champion départemental de puzzle".
J'ai regardé mon collègue, puis le doc qui tenait une oreille piochée dans la boîte, et je suis parti en fou rire. Je veux dire, le vrai fou rire. Celui qui finit par faire mal aux abdominaux, aux zygomatiques. Celui qui empêche de parler, qui fait pleurer.
Il a fallu environ 20 secondes pour que mon collègue embraye et se mette aussi à rire. Et plus il riait et plus je riais. Je n'arrivais plus à respirer tellement je rigolais.
Et le doc qui nous regardait à peine interloqué, un sourire au coin des lèvres.
En riant, je sentais toute la tension, toute le stress, toute l'adrénaline qui partaient petit à petit de mon corps.
Un fou rire libérateur, une grosse vague qui nettoyait tout.
J'aurais pu me pisser dessus tellement je riais. Et les larmes qui pouvaient sortir dignement.
Car c'est plus simple de pleurer de rire que d'horreur.
Ça a duré 5-10 mn ce fou rire.
Ça m'a sauvé je pense. Un vrai mécanisme de défense du corps humain. Comme ceux qui se marrent aux enterrements.
Une fois le calme revenu, le doc a continué son autopsie, le sérieux était revenu, on reparlait mutilation ante/post mortem, blessure léthale, souffrance endurée.
J'avais un poids de 100 kilos en moins sur la poitrine.
C'était ma 1ere scène de crime, pas la dernière. Mais ça m'a changé. J'ai appris des choses sur moi. Ça m'a rassuré et inquiété sur ma capacité à tenir le coup. J'y repense régulièrement.
On fait un métier de fou. Ou c'est le monde qui l'est.
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