The Legend of Zelda : Breath of the Wild est une masterclass de géographie et de cartographie interactive, et voici, de mon point de vue, pourquoi. 👹🗺️

[Un thread]
Alors aujourd'hui on ne va pas réinventer l'eau chaude, et en même temps c'est une discussion que j'ai régulièrement avec mon entourage qui s'intéresse aux jeux vidéo en général, donc peut-être que mon point de vue peut compléter le votre. (et vice versa !)
Breath of the Wild (BotW) est un jeu qui a fait énormément parler de lui, considéré de manière assez générale comme une expérience qui va de "c'est très bien" à "c'est extraordinaire".

[Moins certaines critiques fréquentes sur les donjons ou la musique, qu'à titre perso j'adore]
N'en déplaisent à celles et ceux qui ont moins aimé le jeu, je trouve qu'aujourd'hui BotW est un peu le "mètre étalon de l'open world". Il est très rare qu'un nouvel open world sorte sans être immédiatement comparé, à coups de "c'est mieux/comme dans/moins bien que dans BotW".
Bien que le jeu ait déjà 3 ans, il reste encore étonnamment d'actualité, et en dépit d'une énorme mode de l'open world ces dernières années (soyons honnêtes, ils sortent à la pelle), le public semble lassé... Sauf de lui.

Alors, quelle est la formule magique ? 🧚‍♀️✨
Pas de réponses gravées dans le marbre mais 2 pistes de réflexions géographiques et cartographiques :

=> Une forme de non-linéarité linéaire géographique qui, par sa structure, invite à l'exploration
=> Une grande intelligence dans la continuité entre la carte et le monde
Certains open worlds (une majorité j'ai l'impression, mais je n'ai pas joué à tous donc c'est peut-être pas le cas !) ont tendance à nous faire commencer l'aventure par une entrée géographique isolée, insulaire, dans un coin (métaphoriquement et/ou géographiquement).
J'ai en tête l'exemple de Assassins Creed Odyssey. L'aventure y démarre sur la petite île de Kephallonia, dont l'exploration et l'intrigue fait office de tutoriel. En y progressant, on comprend que c tou poti, que l'aventure est par delà la mer, vers le centre (Athènes ?).
Notez comme c'est visuellement frappant sur la (gigantesque) carte du jeu : Kephallonia est très petite, coincée à l'extrême gauche de la map, l'aventure s'ouvre littéralement vers l'Attique au centre (bien entendu des péripéties coupent ce trajet). Notez le gris vs la couleur.
Alors attention, je ne dis pas que c'est bien ou pas bien, c'est un choix et les choix sont ok.

Mais comparons avec BotW (le mètre étalon, nous y revoila). Notez comme dans celui-ci, le jeu nous plonge au centre de la map, où cette fois-ci l'inconnu nous entoure de toute part.
A mon sens, le parti pris de nous plonger dès le départ sur une zone de tutoriel insulaire (pour nous mettre en confiance, l'espace de jeu fermé que l'on dépasse, progression linéaire classique), mais au milieu de la map nous invite à explorer le jeu du centre vers la marge.
L'inconnu, c'est ce qu'il y a tout autour de ce centre, ce qu'il pourrait y avoir dans les angles. Ce qui nous ouvre à avancer, parfois par cercles concentriques, parfois en zig zag de contraintes, désirs et pieds d'appels à d'autres.
Le vrai milieu de la carte, au final, c'est le château d'Hyrule, où l'on nous explique dès le départ que c'est là que se trouve "la fin de l'intrigue/du jeu". On commence le jeu à peine un tout petit peu en dessous. C'est l'exploration des marges qui va nous aider à progresser.
Ce rapport du centre vers la marge (et re vers le centre ?) est très bien amené par d'autres indices, plus "culturels" et naturels cette fois. La carte se dévoilant, tout comme les paysages qui nous entourent, nous laissent entendre que la marge est d'une nature plus "hostile".
On croit voir (et + tard dans le jeu on explore) un grand volcan menaçant, un massif de montagnes au froid glacial, un immense désert de rocailles, des cols très reculés... Tout ce qui dans notre imaginaire peut représenter des contraintes naturels. (et de la peur/du désir !)
Une des raisons pour lesquelles je trouve que ca marche si bien. L'univers du jeu comporte plusieurs populations :
Les Zora, des espèces de poissons/humains.
Les Gerudo, sortes d'Amazones du désert.
Les Gorons, basiquement des gros cailloux.
Les hyliens, des oiseaux/humains.
Dans le jeu on incarne un hylien, Link, qui est globalement ce qui se rapproche le plus dans cet univers de ce à qui nous on ressemblerait. Ces derniers ont fortement aménagé la plaine centrale et les ensembles forestiers, sans doute car c'était le plus accessible pour eux.
Comme "dans la vraie vie", cf les théories de vos positivistes préférés, les populations hyliennes ont eu tendance à se développer dans des contextes environnementaux "favorables", avec de l'eau douce, dans les plaines fertiles, près du bois et des ressources.
Pour Link et pour nous, l'inconnu à explorer est parfois beaucoup plus contraignant à cause de facteurs comme la température, les nombreux monstres, la difficulté d'accès pour nous... mais pas pour les populations qui elles s'y sont développées !
Et c'est ainsi que l'on lève le voile sur une tonne d'éléments qui viennent épaissir l'univers. Du lore pour le plaisir, des Gorons qui mangent des rôtis de cailloux dans le volcan car ils sont faits de roches aux Gerudo guerrières habituées aux monstres géants du désert.
Des opportunités narratives, des Zoras qui peinent à manipuler l'électricité dans leur royaume humide aux Piafs qui estiment que la responsabilité de sauver leur royaume aurait dû leur incomber car eux ils peuvent voler, pas comme ce blaireau de Link.
D'autres éléments + subtils suggèrent comme on est inadapté à ces environnements : on grelotte, on transpire en s'essuyant le front, on nous s'adresse à nous comme à un étranger parce qu'on ne ressemble pas aux "gens du coin" (par ailleurs plsrs populations ont dev leur tourisme)
Toute cette zumba renforce l'intérêt d'une démarche du centre vers la marge : en s'éloignant du centre, on s'éloigne du confort & en même temps de nos standards, pour découvrir peu à peu des intrigues, architectures et environnements différents, riches et très cohérents.
Cette cohérence se retrouve également dans la continuité entre l'outil cartographique du jeu et l'univers.

[Je dis carte pour dire "la carte" et l'univers pour dire l'environnement de jeux dans lequel on se balade et les deux se télescopent !] [purée ca aurait pu être un medium]
Je pense que l'une des raisons pour lesquelles on se sert des fonctions interactives de la carte (pas le cas dans tous les open worlds), c'est la fluidité avec laquelle ces actions se transcrivent dans l'univers, et comment ce dernier interagit aussi avec la carte et nous.
La carte de BotW n'est vraiment pas qu'un support passif, c'est un outil interactif très... actif. Un ping sur la carte ne nous donnera pas un tracé GPS mystique à là Fable et consorts (qui est un choix qui répond à d'autres envies créatives/besoins et c'est très bien !)
Pinger sur la carte se traduira par un ping sur la minimap, et par un halo lumineux fixe au dessus du ping au dessus de sa localisation. De la même manière, la longue-vue nous permet de pinger l'environnement pour l'annoter sur la map et la mini map, avec diff. couleurs/motifs.
L'intérêt est de faciliter les allers-retours entre les deux (trois en comptant la minimap), et de nous inciter à lever les yeux. Le jeu essaie de nous apprendre comment est goupillé le monde, comment s'orienter par rapport à lui, comment se l'approprier en somme.
Un enjeu d'autant plus crucial quand l'une des quêtes principales consiste à retrouver vos souvenirs à l'aide de simples photos prises il y a 100 ans à divers endroits de l'univers. Un moyen de nous ancrer dans l'épaisseur d'un monde qui nous est étranger.
L'une des réussites de BotW pour nous faire lever les yeux, c'est la maîtrise du paysage et du landmark.

Un landmark désigne un point d'intérêt dans votre paysage/environnement qui peut vous servir de repère, d'objectifs, d'obstacle, d'appât...
BotW maîtrise ses environnements. Ils sont tous homogènes et cohérents... Jusqu'à ce que l'on se trouve devant LA montagne qui a une forme bizarre, devant LE détail qui "fait tâche", et qui accroche notre oeil, alors que notre regard glissait sur l'horizon. Landmarks.
Et ce système de landmarks fonctionne non seulement quand on se promène dans l'univers du jeu... Mais également sur la carte, qui même si elle n'indique pas en surbrillance les éléments qu'on a soi-même exploré, nous glisse des indices à coup de forme, de symétrie ou d'eau.
On peut ressentir instinctivement une continuité dans la logique de la géographie du monde de Breath of the Wild, entre son univers et sa carte, qui font appel à des raisonnements similaires pour attirer notre attention ou nous livrer des secrets.
Je rajouterais à ca la cohérence absolue de nous proposer des courbes de niveau (les traits qui indiquent les reliefs en fonction de si ils sont rapprochés ou pas), dans la mesure où une des mécaniques principales du jeu est escalader => voir => planer.

Continuité de pratiques.
Et un traitement colorimétrique que je trouve très réussi au niveau de la cartographie. Les éléments naturels sont dépeints par des couleurs semblables entre elles et semblables à ce qu'elles traduisent dans l'univers (de l'herbe, de l'eau, de la roche...).
Les éléments construits par les personnages du jeu ("par l'HoMmE") sont également dans des tons qui contrastent par leur fluorescence. Des temples aux tours, explorées comme inexplorées, en passant par les pings et villages.
Je trouve le choix de la fluorescence très pertinent et réussi car il donne un je ne sais quoi de scientifique, un peu de mystique aussi. Il traduit très bien l'aspect humain vs nature. Et cette fluorescence on la retrouve aussi... Dans l'univers, au coeur de la Nature.
NaTuRe eT CuLtUrE ?
La cartographie et son univers se répondent avec beaucoup de justesse, et accompagnent notre progression linéaro-pas linéaire du même instinct que celui qui nous attire dans l'exploration de ce monde, où quand on a fait le tour... on prie pour qu'il en reste encore un peu.
En conclusion, bravo zeldo c'est très bien, bravo les cartes, bravo à vous pour avoir lu jusqu'au bout mon roman fleuve, vous seuls savez que quand on aime on ne compte pas

vive la géographie vive les cartes et belle soirée à vous

(stan urbosa)
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