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C'était il y a 32 ans. Bourane, la première navette spatiale soviétique, prenait son envol depuis le cosmodrome de Baïkonour en Union Soviétique.

Je pense qu'il est intéressant de revenir sur son vol, qui fut une réussite grandiose.
Le lancement de Bourane n'est pas le premier vol de son lanceur, Energiya, qui un an auparavant avait envoyé Polious en orbite, un démonstrateur de satellites militaire possédant des lasers spatiaux.

Car à la différence de la navette US, le lanceur est indépendant de la navette.
Après une tentative de lancement avortée fin-octobre, le décollage du lanceur est fixé pour le 14 novembre au soir. Mais des retards font que le compte-à-rebours s'éternise dans la nuit, jusqu'au petit matin.
Les conditions météos sont très mauvaises. Des rafales à plus de 70 km/h secouent les immenses installations du pas-de-tir. Une couche de plus de 2 mm de glace se forme sur le lanceur. Un brouillard épais surplombe le complexe de lancement.

Pourtant, le lancement est autorisé.
Il est 06h00 et 1s heure locale. Sous les yeux de plusieurs millions de citoyens soviétiques devant leur télés, les 4 RD-170, moteur le plus puissant jamais conçu, démarrent, et l'immense lanceur décolle, en emportant avec lui le nouveau fleuron du spatial soviétique.
Le lanceur traverse bien vite la couche dense de brouillard, ce qui empêche de suivre le lanceur visuellement. Les seuls chanceux capables d'observer la suite du vol sont dans un avion de chasse.

Voici quelques images prises à bord, où l'on voit Bourane décoller au petit matin.
A bord de Bourane, pas d'équipage. En effet, contrairement à la navette américaine, elle peut se piloter de manière entièrement automatique.

Pour toute charge utile, et emporte un module dérivé des équipements de stations spatiales, dénommé très romantiquement 37КБ N37070.
La navette emportait aussi deux masses, simulant les deux bras robotiques que la navette aurait dû avoir sur ses vols futurs.

Ce vol n'était qu'un vol de démonstration, et Bourane était dépourvue de nombreux systèmes. Elle ne pesait que 85 000 kg, au lieu de 105 000 kg.
Le lancement se déroule à merveille, les 4 bloc A du lanceur se séparent nominalement en paires. Il était alors prévu sur les vols futurs de réutiliser les blocs latéraux, grâce à un système de parachutes et de pieds d'atterrissage.
Le bloc Ts central d'Energiya sera lui aussi séparé, et sera retrouvé entier, flottant dans l'Océan Pacifique.

Par la suite, c'est Bourane et ses deux moteurs qui se chargeront de la circularisation de son orbite. Vous voyez ici une mise à feu statique de Bourane :
Contrairement à la navette US qui utilisait des ergols toxiques, Bourane n'utilisait que de l'oxygène liquide et du kérosène RG-1, que ce soit pour ses moteurs principaux, ou ses RCS.

La mise en orbite s'effectua avec succès, l'Union Soviétique dispose désormais de sa navette.
Tout comme la navette américaine, Bourane disposait d'aéroports de secours en cas d'urgence. Outre Baïkonour, Bourane pouvait aussi atterrir à côté de Simferopol en Crimée, de Dombarovski au sud de la Russie, ou de Léninskoïé, dans le Kraï du Primorié, en Extrême-Orient.
Heureusement, elle n'eu jamais besoin d'aller se poser là-bas. Durant son vol en orbite terrestre, une caméra permettait de filmer la vue depuis le cockpit. Elle passa la majorité de son vol sur le dos, nous offrant quelques jolies vues de la Terre au passage.
Bourane effectua en tout deux orbites complètes autour de la Terre. Les communications avec Moscou et Baïkonour étaient transmises principalement par des satellites de communication Molniya.

Vous voyez ici les schémas de sa trajectoire, d'époque:
Durant ce vol, assez court en soit, Bourane eu le temps de s'essayer à plusieurs petites manœuvres, l'une d'entre elle simulant un amarrage avec un vaisseau Soyouz.

"Simulation" est un bien grand mot, Bourane n'ayant été équipée d'aucun module d'amarrage sur ce vol.
Alors que les images du décollage tournent en boucle sur les télévisions soviétiques, Bourane se prépare à rentrer sur Terre. Elle alluma ses moteurs, et entama sa longue rentrée dans l'atmosphère, la plus longue qu'un vaisseau spatial ait eu à effectuer.
Pendant plus d'une dizaine de minutes, la navette était entourée du boule de feu. Le plasma empêcha toute communication avec le vaisseau pendant plus d'une dizaine de minutes.

Baïkonour pu suivre sa trajectoire grâce au système anti-missile du pays.
Il était nécessaire de la suivre, car c'était l'ordinateur de bord qui décidait d'où il allait. A cause de la météo, il envisagea un atterrissage à Yasny, avant de viser à nouveau Baïkonour en faisant un virage très serré, durant lequel Bourane perdit plusieurs tuiles thermiques
Une fois au-dessus du sol soviétique, les avions de chasse de l'armée rouge ont pu se faire rattraper par la navette, qui volait encore à Mach 5.

A l'approche du cosmodrome, ils ont pris quelques magnifiques images de la navette, qui sans le savoir, faisait là son dernier vol.
Bourane volait alors calmement, vers la République Soviétique du Kazakhstan. Quand tout-à-coup, elle changea de cap, surprenant tout le monde au sol. Elle survola les antennes de suivi du cosmodrome à plus de 15km de hauteur.

Avait-on perdu la navette?
Au sol, dans la salle de contrôle, on envisagea sérieusement de faire sauter les charges de TNT que la navette contenait. Heureusement, le directeur de la NPO Molniya les en empêcha.

L'avion de suivi dû faire un sacré virage pour éviter de percuter Bourane d'ailleurs...
L'ordinateur de bord n'avait en fait pas du tout perdu la tête. Les ingénieurs ne le savaient pas encore, mais Bourane volait "trop bien", sa portance était plus élevée que prévue. Elle arrivait donc trop vite vers la piste d'atterrissage.
L'ordinateur de bord pris donc la décision de faire de petits "zigzags" dans le ciel, puis de survoler la piste avant de faire une grande boucle par derrière pour se poser.

Sur la descente finale, Bourane filait tout de même à 40 m/s...
Ce virage... Imprévu fait quand perdre à la navette quelques tuiles thermiques, que l'on retrouvera au sol par la suite.

Peu importe, les trains d'atterrissages se déploient, et il semble bel-et-bien que la navette va se poser!
La salle de contrôle découvrira une Bourane avec un arrière-train carbonisé, mais encore entier. Les roues de Bourane touchèrent le sol à 9h24 heure locale, concluant ce vol certes court, mais chargé en rebondissements et surprises...
D'ailleurs la caméra embarquée dans Bourane filma cet atterrissage.

L'atterrissage de la navette fut d'une douceur telle que les parachutes ne se déclenchèrent que 9s après, n'ayant pas détecté la piste sous les roues!
La précision de la navette en surpris plus d'un. Bourane s'arrêta finalement à... 1,5 mètre du point visé, la roue avant sur le losange blanc peint sur la piste, qui servait de repère.

Les équipes interviendront très rapidement pour mettre le vaisseau en sécurité.
On découvrira que le vol ne fut pas de tout repos. Bourane perdit plusieurs dizaines de tuiles thermiques, et revint avec un assez gros trou dans l'aile...

Mais tout cela fut jugé comme des défauts mineurs, qui seront corrigés sur les prochains vols.
Hasard du calendrier, François Mitterrand, alors président de la France, se posa en Concorde quelques heures à peine après l'atterrissage. L'occasion d'une jolie photo souvenir.

Par la suite, Bouran ira faire une petite virée en France, à l'occasion du salon du Bourget.
Bourane fut ensuite remise en état de vol, et replacée sur Energiya pour son deuxième vol, puis... Plus rien.

Les années passent, et l'URSS commence à s'effriter. Le 26 décembre 1991, le Kazakhstan fut le dernier pays à déclarer son indépendance, mettant fin à l'URSS.
Les années qui suivirent ne furent guère glorieuses. Pendant que le gouvernement était occupé à tirer au char d'assaut sur son parlement, et que le pays passait de 2è puissance mondiale à un pays du tiers-monde, Bourane rouillait dans son hangar.
La crise économique qui suivi la chute de l'URSS empêcha tout entretient du hangar. Alors que des employés tentaient de renforcer tant bien que mal le toit, le hangar s'effondra le 13 mai 2002, en tuant 8 personnes, et en détruisant entièrement la navette.
Cet événement mit fin à tout espoir de revoir un jour une navette soviétique voler.

C'est ici que l'histoire de Bourane se termine, dans les décombre de son hangar. Elle n'aura effectué qu'un seul vol.

Malgré cela, son vol reste toujours aujourd'hui inégalé dans le monde.
Les dernier décombres de la navette furent traînés à la ferraille en 2018. Les autres navettes du programme pourrissent toujours dans leur hangar aujourd'hui. Mais on parlera d'elles une autre fois...

[Fin de thread]
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