Read on Twitter
Quelques éléments sur la sociologie de l'électorat américain et son évolution, issus de l'exit poll réalisé auprès de 16 000 électeurs (en présentiel ou par correspondance) 
Biden domine chez les jeunes (+27 pts) et fait nettement mieux que Clinton en 2016 (+19 pts). Il refait aussi une partie de son retard chez les seniors (-3 pts contre -7 pts pour Clinton).
L'écart s'agrandit donc encore entre le vote massivement démocrate des jeunes, et celui des seniors, qui penche vers les républicains. A noter que cet écart est un phénomène récent, jusqu'en 2000 il n'y avait quasiment pas d'écart entre le vote des différentes générations.
On retrouve ce phénomène dans certains comtés très jeunes d'Etats où le rapport de force global reste pourtant stable, avec un vote Biden qui progresse :
Riley (Kansas), âge médian 24,9 ansBiden 49,7%, +7,2 pts
Story (Iowa), âge média 25,7 ansBiden 57,2%, +6,5 pts
En termes de vote selon l'appartenance raciale, Trump continue à dominer chez les blancs, Biden parmi les minorités. Mais par rapport à 2016, Biden progresse de 5 points chez les blancs et Trump d'autant parmi les minorités - le fossé racial reste massif mais se réduit.
Chez les hispaniques, qui pour la première fois forment la minorité la plus importante au sein de l'électorat, Biden conserverait le score de Clinton (66%), mais Trump progresserait de 4 points depuis 2016 (32%).
Sur le terrain, les évolutions semblent assez contrastées d'un Etat à l'autre : en Floride, Biden perd l'Etat avant tout parce qu'il s'effondre littéralement dans le comté urbain de Miami-Dade (à 65% hispanique) où il obtient 53,3%, soit 10,4 points de moins que Clinton.
Idem au Texas où l'évolution est encore pire pour Biden dans les comtés ruraux de la vallée du Rio Grande : Starr (96% latino) : Biden 52,1%, -27 Maverick (96% latino) : Biden 54,3%, -22Mais ça tient mieux dans l'urbain :
El Paso (82% latino) : Biden 66,3%, -2
En revanche, Biden progresse légèrement dans les comtés très hispaniques d'Etats plus démocrates : Guadalupe (NM, 80% latino) : Biden 56,4%, +3,3 Imperial (CA, 80% latino) : Biden 69,6%, +1,7 Costilla (CO, 69% latino) : Biden 63%, +2,1Donc prudence.
Chez les Afro-américains, on constate auss que Biden recule de 2 points par rapport à Clinton et obtient 88% de leurs suffrages, contre 12% à Trump (+4 points).
Tendance confirmée dans les comtés ruraux de la "Black Belt" du sud : Jefferson (MS, 87% AA) : Biden 85,1%, -1,4 Macon (AL, 83% AA) : Biden 81,5%, -1,3 Hancock (GA, 78% AA) : Biden 71,6%, -3,9Trump progresse +/- (+0,8 à +3,2 pts) dans tous ces comtés.
En revanche, dans les comtés urbains, Biden progresse : Petersburg (VA, 79% AA) : Biden 88%, +0,8 Orleans (LA, 67% AA) : Biden 83,1%, +2,3 Prince eorge (MD, 65% AA) : Biden 89,1%, +1 Baltimore (MD, 64% AA) : Biden 88,1%, +3,4Donc, prudence (bis).
Il semble donc bien que Trump progresse au sein des minorités, mais cette progression est modeste (Biden reste très largement majoritaire chez les hispaniques comme chez les Afro-américains) et circonscrite à certaines zones géographiques.
Pour compléter, cette analyse de @FiveThirtyEight indiquait que parmi l'électorat des minorités, Trump progresse avant tout chez les jeunes hommes par rapport à 2016. https://fivethirtyeight.com/features/trump-is-losing-ground-with-white-voters-but-gaining-among-black-and-hispanic-americans/
La question maintenant, c'est de comprendre pourquoi Trump a su conquérir (une partie minoritaire) des jeunes hommes des minorités par rapport à 2016 - et pour l'instant on est évidemment réduit à des hypothèses.
Parmi les explications, une campagne de Trump qui aurait particulièrement ciblé les minorités, notamment en mettant en avant l'embellie économique sous son mandat. Aucune idée de l'impact que ça a pu avoir, mais il est vrai que... 1/2
... comme @CorentinSellin le rappelle, la campagne de Trump a particulièrement investi sur Internet et les réseaux sociaux, ce qui a pu lui permettre de toucher un électorat jeune (mais pourquoi celui des minorités mais pas les blancs ? mystère). https://twitter.com/CorentinSellin/status/1324440885581516805
On parle aussi de l'efficacité du message de Trump auprès des réfugiés cubains (ou leurs descendants) et vénézuéliens en Floride, qui consistait à dire que Biden était contrôlé par les "socialistes" de l'aile gauche du parti. Mais quid de son effondrement en Texas, alors ?
Autre explication, fournie par @davidshor : les jeunes Afro-américains sont moins religieux, hors les églises sont un fort vecteur de politisation (démocrate) dans cette communauté. Mais là, ça n'explique rien pour les hispaniques... Bref, à creuser. https://nymag.com/intelligencer/2020/07/david-shor-cancel-culture-2020-election-theory-polls.html
On passe au vote en fonction du revenu. Contrairement à ce qu'on entend en permanence, l'opposition d'un peuple pro-Trump à des élites pro-Biden ne fonctionne pas tellement - sans parler du fait que les Etats-Unis seraient un étrange pays où les élites sont majoritaires.
Biden progresse même par rapport à Clinton parmi les Américains ayant un niveau de revenu modeste (+4 à 57% chez les moins de $30 000 / +6 à 58% chez les $30 000-$49 999) ou moyen (+10 à 56% chez les $50 000 à $99 999).
En revanche, les catégories de revenu supérieures basculent vers Trump qui obtient 57% des voix chez ceux gagnant $100 000 à $199 000 par an, soit 9 points de plus qu'en 2016. Et chez les 7% les plus aisés (plus de $200 000), c'est toujours assez équilibré.
Evidemment, ces données doivent être affinées, notamment en fonction de l'appartenance raciale : les pauvres votent majoritairement démocrate car les minorités (qui restent massivement démocrates) y sont sur-représentées. Les pauvres blancs ont très probablement voté Trump.
Pour creuser ce sujet, ce livre de @StatModeling qui explique (notamment) que si les Etats riches votent démocrate, les gens riches votent républicain, et que si les Etats pauvres votent républicain, les gens pauvres votent démocrate. https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691143934/red-state-blue-state-rich-state-poor-state
Le schéma est plus attendu en ce qui concerne le niveau de diplôme : Biden domine chez les diplômés du supérieur, alors que les deux candidats sont à égalité parmi les autres catégories.
Les évolutions par rapport à 2016 sont assez peu marquées, Biden progressant par rapport à Clinton de quelques points dans toutes les catégories de diplôme.
Quand, là aussi, on détaille par appartenance raciale, les choses se précisent : les électeurs des minorités votent largement Biden quelque soit leur niveau de diplôme; les blancs diplômés du supérieur sont partagés; les blancs sans diplôme du supérieur plébiscitent Trump.
Par rapport à 2016, Trump progresse parmi les électeurs des minorités avec un diplôme du supérieur (+5) ou sans (+6), et Biden progresse parmi les électeurs blancs avec un diplôme du supérieur (+4) ou sans (+6).
En termes religieux, les évangéliques restent largement derrière Trump, mais moins qu'en 2016 (76/23 contre 80/16). On ne retrouve pas ce recul dans les comtés très évangéliques de la Bible Belt, mais il faudrait pouvoir distinguer les évangéliques blancs/afro-américains.
Un petit retour sur la question du vote selon l'appartenance raciale, avec 1/ des éléments sur le vote des Amérindiens et 2/ des précisions sur l'évolution du vote hispanique.
Biden domine et augmente dans les comtés Amérindiens du nord:Oglala Lakota (SD, 94% Natives)
Biden 88% -2
Trump 9% +1
Menominee (WI, 88% Natives)
Biden 82% +6
Trump 18% -3
Todd (SD, 86% Natives)
Biden 77% +7
Trump 21% -2
Sioux (ND, 85% Natives)
Biden 68%,+6
Trump 22% +1
Même scénario dans les comtés à majorité Apache et Navajo du sud-est :McKinley (NM, 76% Natives)
Biden 68%, +6
Trump 29,5%, +6
Apache (AZ, 73% natives)
Biden 67%, +5,1
Trump 32%, +2
En revanche, chez les Amérindiens Lumbees de Caroline du Nord, il y a un net basculement en quelques années vers Trump (cf. la partie entourée d'une ligne noire du comté de Robeson, à 38% Native). Idem dans le comté de Swain (Cherokees). v/ @JMilesColeman
Sur les Hispaniques, il semblerait que dans pas mal d'endroit, on assiste pas tant à un basculement d'électeurs Clinton vers Trump, mais à un vote massif en faveur de Trump de nouveaux électeurs inscrits sur les listes électorales *par les démocrates* https://www.nbcnews.com/news/latino/texas-democrats-swing-register-1m-new-voters-seek-boost-latino-n1238817
Ainsi, dans les comtés hispaniques du sud Texas, les gains en voix de Trump dépassent nettement ceux de Biden (qui recule même parfois en voix malgré la hausse de la participation). Pour les démocrates, chercher à faire voter les minorités s'est ici avéré contre-productif.
Attention à ces résultats spécifiques au TX et qui ne vont pas dans le sens d'un basculement des latinos (ces nouveaux électeurs retourneront probablement vers l'abstention). Mais clairement, la participation des minorités n'est pas la solution magique pour les démocrates.
Au niveau géographique, le nord et l'ouest restent acquis aux démocrates, le Midwest demeure très partagé, et grâce au basculement des grandes banlieues des métropoles du Sud, ce dernier s'est aussi partagé entre Trump et Biden, une première depuis Carter en 1976.
Au national, Biden est donc en tête dans les zones urbaines (60%, comme Clinton en 2016), et il progresse dans les grandes banlieues (51% +6) aussi bien que dans le rural (45%, +8).
La poussée démocrate dans les banlieues des grandes villes ne date pas d'hier et elle s'était d'ailleurs déjà fortement amplifiée en 2016. Mais cette année, c'est parfois une véritable explosion. https://twitter.com/DaveAHopkins/status/1166050701266444288
Deux exemples au Texas et en Géorgie, avec des progressions énormes de Biden dans les agglomérations de Dallas-Fort Worth, Austin-San Antonio, Houston et Atlanta. En 8 ans, les démocrates gagnent jusqu'à 35 pts dans certains comtés. Même chose en Arizona et Caroline/nord.
De fait, un grand nombre de comtés urbains ou périurbains aisés basculent pour la première fois depuis des décennies dans le camp démocrate. https://twitter.com/Redistrict/status/1324927182133669888
On retrouve que cette évolution dans des comtés ruraux très éloignés des centres :Oconee (33k habs, 91 km d'Atlanta)Biden 32,4% (+4,7), meilleur score dem depuis Clinton '96
Brazos (205k habs, 120 km d'Austin)Biden 41,6% (+7,2), meilleur score dem depuis Johnson '64
Bref, cette dynamique démocrate dans les périphéries - proches comme très lointaines - des métropoles dynamiques du Sud explique le basculement en Arizona/Géorgie, et pourquoi le Texas n'est gagné par Trump qu'avec 6 pts d'avance, contre 9 en 2016 et 16 pour Romney en 2012.
Ce basculement des grandes banlieues s'explique par tout un faisceau d'éléments jouant sur le long-terme, mais la mauvaise lecture par la campagne de Trump des préoccupations des habitants de ces zones a du accélérer le mouvement cette année. https://fivethirtyeight.com/features/why-trump-is-losing-white-suburban-women/
Trump reste quant à lui majoritaire dans les zones rurales, mais on voit sur la carte de l'évolution par rapport à 2016 combien elles ont évolué de manière très différentes d'une région à l'autre. Difficile d'en tirer un enseignement général.
De manière générale, on constate tout de même que Trump améliore encore ses résultats dans le centre-est rural et pauvre du pays (sud du Midwest et de la Rust Belt, Upper South et Appalaches), une région où il obtenait déjà des scores exceptionnels en 2016.
Quelques exemples de comtés de cette région où le vote Trump est quasiment unanime ET en progrès :Cimarron (OK, 2K habs, 85% blanc) : Trump 92%, +3
Clay (KY, 20k habs, 95% blanc) : Trump 92%, +6
Scott (TN, 22k habs, 98% blancs) : Trump 88%, +3
Si Trump a donc perdu quelques plumes dans l'électorat ouvrier de la Rust Belt, il n'a donc pas du tout reculé dans le centre rural de l'Amérique. De ce point de vue, c'est la région des Appalaches et des Ozarks qui reste, comme en 2016, le cœur géographique du Trumpisme.
Un petit thread sur le rapport entre la dynamique Trump en 2016-2020 et l'origine géographique des populations blanches aux États-Unis. https://twitter.com/leonardocarella/status/1325611883957784576?s=19
Superbe dataviz du @washingtonpost: Quand ça va à gauche, ça vote davantage Biden que la dernière fois, et quand ça va à droite, ça vote davantage Trump Plus les flèches sont orientées vers le haut, plus la participation a augmenté depuis 2016 https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/elections/electorate-changes-2016-election-vs-2020/
LE truc qui me surprend : le recul de Biden par rapport à Clinton en Arkansas, alors qu'il progresse dans les zones socio-démographiquement similaires. Ce qui veut dire qu'en 2016, Hillary avait encore un résidu de survote lié aux années de Bill comme Gouverneur (1979-1992).
On voit que l'immense majorité des électeurs avaient fait leur choix en amont de l'élection. Mais 5% d'entre eux ce sont décidés dans les derniers jours, et ceux-ci on largement choisi Trump. Une des causes de la légères sous-estimation de Trump dans les sondages nationaux ?
La corrélation entre le vote en 2016 et en 2020 au niveau des comtés est quasiment totale (0.99), signe d'un électorat totalement stable (d'où l'importance de ne pas sur-interpréter les mouvements par exemple des hispaniques). v/ @A_agadjanian
