1/ L’une des sources du conflit #EndAnglophoneCrisis est que deux territoires distincts, la République du Cameroun, "indépendant," et Southern Cameroons, encore sous tutelle mais avec institutions démocratiques, décident de s’unir pour créer la République Fédérale du Cameroun.

2/ C’est ce clash de vision de ce qu’est un état, une nation, et quel est le rôle de ces citoyens qui revient à la charge aujourd’hui.

3/ Southern Cameroons, qui pensait qu’elle maintiendrait une autonomie et son statut égal d’état dans une fédération, a vu toutes ses institutions démocratiques, sa manière de vivre, ses libertés, ses structures économiques éliminées.

4/ Les problèmes de langue donc sont juste un symptôme et non la cause du conflit.
Cette manière complètement différente de voir l’état ne date pas d’aujourd’hui.

5/ Déjà, en 1961, Chief Dr. Endeley à la veille du plébiscite organisé par l'ONU, essayait de convaincre la population de voter pour une union avec le Nigeria et non la République du Cameroun.

Extraits de sa plaidoirie (traduits du blog de @dibussi ) https://www.dibussi.com/2006/02/unification_rev_1.html

6/ KNDP Manifesto fevrier 1961:

" Presque tout le monde dans le Southern Cameroons a entendu le mot LIBERTÉ.

7/ Notre association avec le Nigéria depuis près d'un demi-siècle nous a fait comprendre ce que signifie se déplacer librement ; parler en public librement ; adorer librement; pour dire ce que nous pensons sans crainte d'agression.

8/ Ces libertés et bien d’autres continueront d’être les nôtres si nous votons pour l’union avec le Nigéria.
Mais si vous votez pour la République du Cameroun, vous inviterez un nouveau système dans lequel tout le monde vit dans la peur de la police et de l'armée.

9/ Vous ne serez pas libre de vous déplacer; vous ne pouvez pas faire des conférences librement ou discuter de vos opinions politiques en public; vous devez porter votre reçu d'impôt autour de votre cou comme un chien; et vous pouvez être arrêté et fouetté par la police et…

10/ …même emprisonné sans procès équitable.

Le PCNC estime que toutes les personnes décentes du Southern Cameroons qui ont goûté à la liberté seront suffisamment sensées pour voter pour l'union avec le Nigéria. La liberté est trop douce pour être jetée aux chiens.

11/ Dans le système français, vous ne pouvez pas avoir un procès équitable. Quiconque est accusé d'une infraction en République du Cameroun est malmené et fouetté et est généralement traité comme un criminel coupable.

12/ Même le policier le plus subalterne semble avoir le pouvoir de « vie et de mort » sur les gens ordinaires!
C'est un mauvais système et doit être rejeté par les électeurs.

13/ Si vous votez pour la République du Cameroun, vous échouerez à jamais à obtenir l'indépendance du Cameroun méridional car la République du Cameroun est toujours une COLONIE de France. Les troupes françaises sont toujours stationnées à Douala et à Yaoundé.

14/ Le CPNC soutient qu'il ne sert à rien que le Southern Cameroons quitte le système colonial britannique. Nous devons entrer dans une véritable INDÉPENDANCE avec le Nigéria.

15/ Si vous votez pour l'union avec le Nigéria, nous continuerons à profiter de l'excellent régime foncier qui empêche que les indigènes ne soient que des cultivateurs dans les fermes des colons blancs.

16/ Nous conserverons nos terres pour nos propres fermes, et nous serons libres de planter notre propre cacao, bananes ou café.

Si vous votez pour la République du Cameroun, vos petites terres agricoles seront à la merci des Français blancs.

17/ Nous entendons que ces Français envisagent de reprendre les plantations CDC dans les divisions Victoria et Kumba.

Qui parmi vous aimerait vivre dans un pays où votre vie et vos biens sont constamment en danger?

18/ Qui, parmi vous, citoyens pacifiques de Southern Cameroons, aimerait vivre dans un pays où l'on peut vous tirer dessus parce que vous marchez dans la rue, ou bien votre femme peut être tuée alors qu'elle travaille au champ?

19/ Qui d'entre vous aimerait vivre au Cameroun français, un pays rouge du sang de milliers de victimes innocentes tuées par les terroristes et le régime d'Ahidjo?

20/ Qui parmi vous, bons citoyens de Southern Cameroons, aimerait vivre dans un pays où les maisons et les magasins des gens sont brûlés et pillés chaque jour ; où vous pouvez être arrêté sans procès équitable?

21/ Qui parmi vous aimerait vivre dans un pays qui n'a pas le respect total de la dignité humaine et où vous ne pouvez pas vous exprimer librement ou poursuivre vos affaires en paix ?

Sûrement aucun de vous.

22/ Qui parmi vous aimera que vos enfants grandissent dans la servitude ? Sûrement aucun de vous.

Ce sera notre sort si nous rejoignons le Cameroun français.

23/ Si vous souhaitez vous sauver des indignités susmentionnées, assurez-vous de voter pour que le Southern Cameroons reste tel qu'il a été au cours des quarante dernières années.

24/ Si vous voulez éviter le bouleversement imminent qui s'abattra sur le Southern Cameroons et si vous voulez que le territoire devienne un pays où tous seront traités équitablement et convenablement pris en charge ;

25/ où chacun aura des chances égales, quelque soit sa tribu, ses croyances, sa race ou ses affiliations politiques, alors votez dans la BOÎTE VERTE lors du Plébiscite le 11 février."

Fin de l'extrait Chief Dr. Endeley février 1961

26/ Certains n’ont jamais digéré ce mauvais mariage et estiment qu’ils ont donc tout perdu. 1972, passer de la république fédérale à la République Unie a attisé les tensions.

27/ Le décret de 1984 qui fait passer l’union sous le nom de la République du Cameroun, donc assimilation totale sous le nom de ce qui était hier un partenaire dans l’union, va pousser des Southern Cameroonians a bout.

28/ C’est dans ce contexte que Fon Gorji Dinka, avocat, va saisir l’ONU d’une pétition et annoncer l’indépendance de l’ancien Southern Cameroons et lui donner le nom Ambazonia, tiré de Ambas Bay au sud-ouest.

29/ Gorji Dinka était encore un marginal. La population voulait un retour au Cameroun fédéral dans sa forme de 1961 et non l’indépendance totale.

L’appellation “Southern Cameroons” a donné lieu a l’état de West Cameroon avec statut égal avec l’état de East Cameroon (anciennement la République du Cameroun) dans la République Fédérale du Cameroun. Donc un pays avec deux états constitutionnellement avec un statut égal.

31/ Lors du référendum du 20 mai 1972, le pays entier vote et non juste la partie West Cameroon, a changé la forme de l’état ce qui était, par ailleurs, une violation de la Constitution de 1972. Le Cameroun devient un état unitaire avec comme nom La République Unie du Cameroun.

32/ C’est aussi en 1972 que l’état de West Cameroon est divisé en province du Sud-Ouest et province du Nord Ouest.

Ne ne pouvant plus s’identifier autour du nom d’un territoire, les Southern Cameroonians devenus West Cameroonians deviennent connus comme les “anglophones.”

33/ C’est d’ailleurs pour cette raison que les Restorationistes (séparatistes) refusent l’appellation “anglophone” car elle émane justement de ce qu’ils considèrent d’une illégalité, qui est ce référendum de 1972.

34/ Après 1972, petit à petit, toutes les institutions et structures de l’ancien West Cameroon furent soient éliminées soit centralisées à Yaoundé. Les deux exceptions furent le système judiciaire et le système éducatif.

35/ Le système judiciaire de l’ex Southern Cameroons repose sur le Common Law, c’est à dire un système basé sur la jurisprudence et non les textes de lois. Une décision va se reposer sur des décisions déjà prises par d’autres magistrat.

36/ Ceci est très différent du système utilisé dans le reste du Cameroun qui repose principalement sur le code de Napoléon. Les magistrats de la zone anglophone se repose sur ses jurisprudences nigérianes et ghanéennes lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence locale.

37/ Si un magistrat n’est pas bien formé dans le case law, il est difficile pour lui de fonctionner comme juge dans ces regions. Donc il ne s’agit pas seulement du fait que les lois telles que OHADA n’avait pas été traduites mais que des magistrats n’étaient pas formés.

38/ Or, de plus en plus fréquemment, des magistrats qui ne maîtrisaient ni la langue, ni le Common Law, étaient envoyés comes juges dans ces régions et appliquaient le code de Napoléon ainsi qu’utiliser le français dans les tribunaux.

39/ Le system éducatif est lui basé, sur le système de Common Entrance. La philosophie derrière est aussi très différente du système de baccalauréat. Les examens par exemple ne se prennent pas au même moment et sont facultatifs.

40/ Un étudiant pour son ordinary level ou son Advanced Level va choisir les sujets pour lesquels il va prendre ses examens. À la fin, c’est le nombre d’examens. « I did 5 papers » « J’ai passé 5 examens. » Le control de ces examens avait été local mais a été déplacé à Yaoundé.

41/ Aussi, des enseignants et chefs d’établissement ne maîtrisant ni la langue, ni le système, étaient envoyés dans la zone.

Les avocats et les enseignants commencèrent à revendiquer de plus ben plus. En 2016, ces revendications sont devenues des manifestations. Elle n’ont pas été simplement d’ordre corporatiste comme certains l’ont pensé.

43/ Le Consortium qu’avait créé les syndicats d’avocats et enseignants estimaient que seul un retour au fédéralisme allait être suffisant pour gérer ses deux systèmes.

44/ Psychologiquement, c’était aussi les seuls vestiges de leur autonomie d’hier qu’ils préservaient. Toutes les autres structures et institutions disparues, le symbol de préserver le control sur ces systèmes était en quelque sorte, préserver leur identité.

La suite vous la connaissez. Arrestation des membres du Consortium, coupure internet de 93 jours, répressions violentes, radicalisation de la population, montée en puissance des séparatistes (qui préfèrent s’identifier comme des Restorationistes), groupes armées... la guerre.