Je pense que nos compatriotes dont la voix est la plus audible (c'est à dire, CSP+, plus au moins francophones) ne se rendent absolument pas compte du niveau de vie de l'extrême majorité de leurs concitoyens, d'où les débats à bâtons rompus.
A cause de cette méconnaissance de leur propre société, ils sont incapables d'empathie envers les autres groupes sociaux. En réalité, les disparités sociales sont telles qu'ils n'ont aucun moyen - à part les statistiques - de s'en rendre réellement compte.
Cela devient d'autant plus désagréable que les concernés - les pauvres quoi - n'ont aucun moyen de participer à ce débat. Et parce qu'ils sont invisibles et reclus du débat public, ou parce qu'ils y participent avec maladresse, on pense qu'ils ne sont pas si nombreux que ça.
Par conséquent, la discussion, qui aurait dû concerner les écarts énormes en terme de pouvoir d'achat et de capital social, glisse rapidement vers un non-débat : a-t-on le droit d'acheter une jolie voiture ? un jolie maison ? de passer des vacances ? Etc.
A-t-on le droit de disposer de son argent ? évidemment. De se divertir ? bah, oui. Mais la promotion de ce débat (au lieu celui des inégalités) relève presque de la mauvaise foi. Que les élites de ce pays réduisent une question fondamentale à une polémique futile est dangereux.
Cette question fondamentale est la suivante : est-ce que nous vivons dans le même pays ? Dans la même société ? Est-ce que nous pouvons, dans les conditions actuelles, envisager un projet commun ?
Attention, ce n'est pas la misère en soi qui nous gêne ici, mais quelque chose de bien pire. Un petit Marocain qui naît aujourd'hui à la Jamaa de Houderren n'a absoluement rien de commun avec son compatriote né à hay Riyad.
(la distinction est sociale ici, pas rurale/urbaine). Le premier n'a aucune, mais AUCUNE, chance dans la vie. Par conséquent, c'est plié d'avance pour l'extrême majorité de nos compatriotes et ainsi, ils n'ont plus aucun espoir. C'est du féodalisme, tout simplement.
Evidemment que ces questions et ces frustrations sont exacerbées par la gestion de la crise sociale, économique et désormais sanitaire de la pandémie Covid-19.
Le rapport HCP-ONU montre à quel point les catégories les plus fragiles ont le plus souffert de cette crise, mais...
... si ces catégories sont "naturellement" les plus exposées aux risques, je vous invite à classer les dernières mesures de l'Etat marocain en fonction des classes sociales visées. L'interdiction de déplacement pendant l'aid versus les réservations d'hôtels,
la mobilité impossible des usagers de transports publics vs. les propriétaires de véhicules personnels, fichtre, les malls (climatisation, etc.) versus les souks et les ferrachas (à ciel ouvert), etc.
Quand tu es pauvre, on te demande des sacrifices dont on dispense les riches.
A ces inégalités, à cette différenciation de traitement en fonction de la CSP, aux dégâts de la crise, d'ajoute les doigts accusateurs de notre élite, systématiquement et volontairement pointés vers les pauvres.
"Ah voyez ! comment ils s'entassent ! ne sont-ils donc pas nombreux ! pourquoi ils ne rentrent pas chez eux ? pourquoi ils accourent vers les autocars un dimanche à minuit moins le quart ? pourquoi ils ne mettent pas de masques ? pourquoi mangent du mouton ?"
C'est devenu un classique de l’iconographie des débats marocains dans l'entre-nous cas-bati : tenez cette photo qui montre la foule, moquons cette populace inconsciente !
Même les communiqués du gouvernement sont infantilisants. Même les quartiers bouclés sont les plus pauvres.
Voici mon motto : pas de Aid pour les pauvres, pas de vacances pour les riches. Pas de lit pour un covideux démuni, pas de lit pour un covideux riche. Pas de rentrée scolaire pour le public, pas de rentrée scolaire pour le privé.

C'est du domaine du fantasme, bien sûr.
Peut-être pour clore ; il n'est pas question ici de se sentir coupable de boire un café à 150% SMIG, mais seulement de prendre conscience de l'impossibilité du développement, de la vie digne et du bonheur commun tant que les contrastes socio-économiques actuels existent.
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