Hier, Donald Trump a décidé d’offrir une réserve naturelle sauvage protégée de l’ #Arctique américain pour l’exploitation pétrolière.

En réalité, cette "décision" est encore une fois BIEN plus (géo)politique que certaines caricatures qui en sont faites ce matin…😉

THREAD 👇👇👇 https://twitter.com/lemonde_planete/status/1295457691113070593
De quoi parle-t-on exactement ?

On parle de l’ANWR (Arctic National Wildlife Refuge), la Réserve naturelle sauvage arctique des États-Unis.

Créée en 1960 et agrandie plusieurs fois, l’ANWR atteint aujourd’hui 78000 kilomètres-carré (autant que la Suisse et les Pays-Bas réunis).
Dans ces 78.000km2, il y a trois zones distinctes. La zone d’habitat sauvage en tant que telle, 32.000km2. La zone dite de "gestion minimale", 40.900km2.

Et enfin, la zone côtière de l’Océan Arctique appellée la "Zone 1002" : 6.100km2. C’est cette partie-là qui nous intéresse…
En effet, le sous-sol de la "Zone 1002" renfermerait, selon diverses estimations américaines réalisées depuis les années 1960, plus de 10 milliards de barils de pétrole restants à découvrir.

Et, depuis 1977, ce pétrole en fait saliver plus d’un… Entrons dans le détail !
En 1980, le Congrès vote l’ANILCA : la loi pour la conservation des terres d’intérêt national en Alaska.

La section 1002 de la loi créé la zone éponyme et oblige le ministère de l’Intérieur (DOI) à conduire des études approfondies dans cette zone pour en déterminer le potentiel.
Cette section 1002 est évidemment le fruit d’un compromis entre les élus Républicains — majoritaires en Alaska et partisans de l’exploitation — et les parlementaires Démocrates qui militent pour une interdiction.

Avec l’ANILCA, ils décident de repousser la décision à plus tard.
La question de la Zone 1002 va ainsi devenir un serpent de mer de la politique énergétique américaine.

Au total, entre 1977 et 2017, le Parti Républicain va tenter 50 fois de faire voter au Congrès l’ouverture de la Zone 1002 aux producteurs pétroliers. 50 fois, sans succès…
Des centaines de millions de dollars de lobbying seront engloutis en 40 ans dans cette entreprise mais les Démocrates tiennent bon.

Pendant ce temps en Alaska, la production pétrolière baisse, l’économie se contracte, la corruption augmente et Sarah Palin deviendra gouverneure…
En 2014, un an avant que les États-Unis prennent la présidence tournante du Conseil de l’ #Arctique — l’organe diplomatique de référence de la région — Barack Obama va proposer de renforcer les interdictions d’exploiter l’ANWR, et en particulier la Zone 1002.

En vain…
Face à cet échec, Barack Obama va interdire directement — sans l’aval du Congrès — l’exploitation pétrolière dans les eaux côtières de la Zone 1002.

On est alors quelques semaines à peine avant la passation de pouvoir avec Donald Trump et les espoirs de conservation sont hauts…
Mais, en 2017, tout bascule !

Les Républicains ont désormais le contrôle des deux assemblées du Congrès : la Chambre des Représentants et le Sénat.

Et, en Décembre 2017, les Républicains vont voter l’ouverture de la Zone 1002 à l’exploitation pétrolière.
Ainsi, comme le prévoyait la loi de 1980, le ministère de l’Intérieur (DOI) a dû s’exécuter et préparer un plan d’ouverture à l’exploitation pétrolière de cette Zone 1002 ainsi qu’une étude d’impact environnemental.

Ce processus a débuté en Septembre 2019 et a pris fin hier.
Ce qui a donc été annoncé hier, ce n’est pas DU TOUT une décision de Donald Trump…

En fait, Trump n’a pas grand chose à voir avec ça. C’est un spectateur intéressé et opportuniste.

Tout s’est joué au Congrès, depuis 1977, entre lobbyistes pétroliers, ONGs et élus Républicains.
Et en première ligne de ce combat pour exploiter la Zone 1002, on trouve les deux Sénateurs d’Alaska @lisamurkowski et @DanSullivan_AK, le représentant d’Alaska @DonYoungAK (réélu 24 fois au Congrès, sans discontinuer depuis 1973) et le gouverneur @GovDunleavy, tous Républicains.
Leur objectif est triple.

D’une part, relancer le secteur pétrolier en Alaska, actuellement en perte de vitesse, qui est le moteur de l’économie de l’État.

D’autre part, tirer parti du fait que les champs pétroliers arctiques sont de moins en moins chers à exploiter.
Et enfin : redonner une valeur stratégique à l’Alaska sur la scène nationale et internationale.

Négligé depuis la fin de la Guerre Froide, cet État américain d’outre-mer peine à attirer des investissements publics. Les infrastructures se délitent et les militaires sont partis…
Ce n’est pas pour rien que, Lisa Murkowski — qui avait succédé à son père Frank Murkowski, Sénateur d’Alaska — après sa réélection au Sénat en 2015, a bataillé et obtenu la très stratégique présidence du Comité Sénatorial à l’Énergie et aux Ressources Naturelles. Un poste clé.
En effet, même si les risques environnementaux sont évidents, connus, identifiés et quantifiés, les élus d’Alaska n’ont d’autre choix que de passer par le pétrole et par les nouvelles "menaces" stratégiques en #Arctique pour exister et attirer des fonds pour soutenir l’économie.
De plus, plusieurs sociétés autochtones locales sont également en faveur de l’exploitation pétrolière dans la partie Nord de l’Alaska car elles aussi en tirent partie.

L’alignement d’intérêts est ici quasi-total. Et tant pis pour l’environnement : c’est le développement d’abord.
Et quid de Donald Trump dans tous ça au final ?

C’est simple : avec l’ouverture programmée de la Zone 1002 aux enchères pétrolières et la construction future de 4 aérodromes et 250 kilomètres de route, entre autres, Trump tient avec le pétrole son "charbon" de la campagne 2020.
Le 3 Novembre, l’Alaska ne rapportera que trois grands électeurs. Cependant, avec la Zone 1002, Trump peut faire d’une pierre cinq coups.

1) Consolider sa base contre les écologistes démocrates.

2) Montrer qu’il soutient les "petits" États face à New York et à la Californie.
3) Rassurer l’américain moyen en revalorisant le modèle tout pétrole et son importance stratégique face aux incertitudes d’un modèle fondé sur les énergies renouvelables.

4) Montrer qu’il est un bâtisseur visionnaire avec de nouveaux projets d’infrastructures importants.
5) Utiliser l’Alaska, comme le Groenland, pour montrer qu’il est à la hauteur face aux nouveaux défis stratégiques et sécuritaires posés par la Russie et la Chine et qu’il met tout en œuvre pour assurer l’indépendance énergétique américaine vis-à-vis du Moyen-Orient.
Et quid de l’environnement alors dans tout ça, me direz-vous ?

En fait, vous connaissez la réponse… pour Trump et le Parti Républicain, rien n’a vraiment changé depuis le premier débat de 1977 sur les ressources pétrolières de l’ANWR : après-moi, le déluge.
Désolé pour ce long thread. J’espère qu’il vous aura été utile pour y voir plus clair et que mes amis américanistes @CorentinSellin, @lauric_henneton, journalistes et d’autres pourront s’en servir.

Bon courage et…

ALLEZ PARIS 🔴🔵😁 !!! #UCL #NeyDay
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