D'ailleurs, on peut aussi faire un autre fil car ces événements illustrent un certain nombre de dynamiques des Relations Internationales. Allez, deuxième fil de la journée, on va parler coercition, crédibilité et autres joyeusetés ⬇️ 1/ https://twitter.com/Olivier1Schmitt/status/1294552084562489345
Pour la Turquie, c'est donc un risque calculé: une tentative d'accaparer un territoire en pensant que l'enjeu est trop faible pour provoquer une réponse. Et oui, la Turquie se comporte clairement comme un "Greedy State" dans cette affaire. 3/ https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691143729/rational-theory-of-international-politics
Selon Glaser, les "Greedy States" entreprennent des actions révisionnistes suite à un échec de la dissuasion. Donc pour empêcher la Turquie de poursuivre ses actions illégales, il faut rétablir une forme de rapport de force. on rentre ici dans le territoire subtil des théories 4/
de la coercition.
Classiquement, on distingue deux modalités de la coercition: la dissuasion (empêcher un acteur de faire quelque chose) et la contrainte ("compellence", forcer un acteur à changer de comportement). 5/ https://yalebooks.yale.edu/book/9780300143379/arms-and-influence
(Je vous passe les débats sur la "armed compellence", c'est-à-dire savoir si l'emploi limité de la force relève toujours de la contrainte ou si l'on passe déjà vers les interactions stratégiques dans le cadre d'un conflit armé) 6/
La dissuasion a échoué avec la Turquie, on rentre donc dans le territoire de la contrainte. La logique est simple, il faut menacer de dommages tels que la poursuite du comportement devient trop coûteuse, et la cible est forcée de changer de comportement. 7/
Jusque là tout va bien, mais évidemment les détails deviennent difficiles. D'abord, il faut communiquer une menace crédible à la cible. Les 2 mots "communiquer" et "crédible" sont fondamentaux: la cible doit comprendre les actions entreprises+croire qu'on les conduira à bout 8/
Deuxième difficulté, la contrainte suppose une humiliation potentielle pour la cible: qui doit changer de comportement au vu et au su de tous (contrairement à la dissuasion, où la cible se contente de ne rien faire, et ne change pas de comportement) 9/
Or, ce risque d'humiliation est pris au sérieux pour les dirigeants (surtout les dirigeants de régimes personnalisés comme les régimes autoritaires), qui craignent un retournement de leur population: ce que l'on appelle les "coûts d'audience" 10/: https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09636412.2012.706476
Dès lors, ds une manoeuvre de contrainte, la menace de coûts imposés doit être supérieure aux coûts d'audience afin que la cible change de comportement. Mais évidemment, plus la menace est élevée, moins elle est crédible. Par exemple, personne ne croirait que la France 11/
serait prête à envoyer une bombe nucléaire sur Ankara pour forcer la marine turque à quitter les eaux territoriales grecques. Le calibrage de la menace doit donc être particulièrement fin pour être crédible, ce qui est loin d'être facile 12/
La précision est donc fondamentale dans l'acte de contrainte (contrairement à la dissuasion où l'ambiguité peut être utile): il faut connaître les vulnérabilités de la cible pour imposer des coûts crédibles et communiquer cette menace de manière claire 13/
Enfin, la menace doit être calibrée éviter les risques d'escalade, qui débouchent du coup sur une guerre (et donc un échec de l'objectif de contrainte). 15/
Donc, pour en revenir au sujet qui nous occupe, il faut se poser les questions suivantes:
- 1: Si on veut faire changer la Turquie de comportement, quel est le coût qu'elle doit subir?
- 2: Est-on prêts à lui faire subir ce coût, et avec quels moyens?
16/
- 3: les conséquences (et donc le coût) de ses actions ont-elles été clairement communiquées à la Turquie?
-4: 2 Rafales et 2 Frégates constituent-ils des moyens crédibles de faire subir ce coût?
17/
- 5: La réputation de Macron auprès d'Erdogan est-elle de quelqu'un qui met ses menaces à exécution? (l'inaction française suite aux actions turques contre les kurdes en Syrie et après la défaite d'Haftar en Libye indiquerait que probablement non).
18/
Si au vu des éléments ci-dessus, démonstration est faite que l'action française est calibrée, crédible et la menace clairement communiquée, alors on peut s'indigner de l'absence de soutien européen. 19/
Sinon, ce sont des gesticulations qui compliquent le calcul stratégique et incitent Erdogan à être encore plus inflexible (vous savez, les coûts d'audience).
La seule vraie question étant, comme toujours, quel coût est-on prêts à subir pour en imposer un à la Turquie? 20/
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