Petit fil « RIs » sur le sujet. En théories des RIs, c’est l’idée que l’ « internal balancing » (développement des capacités propres face à une menace) est supérieur au « external balancing » (partage des capacités au sein d’une alliance). 1/ https://twitter.com/gerardaraud/status/1288600199909322755
En effet, l’ « internal balancing » garantit la souveraineté (pas de co-décision) et l’autonomie. L’ « external balancing » est souvent sous-optimal du fait des problèmes d’aggrégation des capacités militaires au sein d’une alliance (sous-optimal). 2/
C’est évidemment chez Waltz que l’on trouve cette idée exprimée de la manière la plus claire et élégante 3/
https://www.amazon.fr/Theory-International-Politics-Kenneth-Waltz/dp/1577666704/ref=tmm_pap_title_0?_encoding=UTF8&qid=&sr=
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Et voir Snyder pour la complexité de la politique des alliances. 4/
https://www.amazon.fr/Alliance-Politics-Glenn-H-Snyder/dp/0801484286
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Le réalisme structurel a donc théorisé ce mécanisme « internal/external balancing » et, en France, la préférence pour le « internal balancing » est renforcée par l’héritage gaullien (en fait, de la 2e GM) qui perçoit la dépendance à une alliance comme un abandon moral. 5/
Donc en théorie, parfait effet de remplacement: - de possibilité d’external balancing = renforcement de l’internat balancing et des budgets de défense. Donc le retrait américain est une bonne chose pour l’Europe en stimulant l’ « internal balancing » des Etats-membres. MAIS 6/
Cette idée part du principe qu’il existe une dynamique tendancielle du système international vers l’équilibre des puissances: si l’external balancing n’est pas une option, les États vont se tourner vers l’internat balancing. Mais la tendance sera toujours vers l’équilibre. 7/
Sauf que c’est faux. Il n’y a pas de dynamique d’équilibre des puissances au sein du système international. Cette idée basée sur le concert Européen du 19e siècle est une exception historique, et certainement pas une tendance générale. 8/ https://academic.oup.com/isq/article-abstract/58/4/660/1809680?redirectedFrom=fulltext
Il y a de nombreuses raisons qui font que les États ne vont pas chercher à équilibrer les puissances. Désaccords au sein des élites et/ou de la société sur la nature des menaces; priorisation sociales différentes (« Guns versus butter »)... 9/ https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691136462/unanswered-threats
Ou encore les problèmes de ressources limitées, de dépendance au sentier (difficile de changer des priorisations budgétaires et sociétales bien établies) et de freins cognitifs à la perception des menaces. 10/ https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1354066107076951
D’autant que même avec des budgets supplémentaires, la remontée en puissance des forces armées est un processus long et complexe. 12/
https://www.casematepublishers.com/how-armies-grow.html#.XyKKgYE6--o
https://www.casematepublishers.com/how-armies-grow.html#.XyKKgYE6--o
Voir aussi ce papier de l’IFRI. 13/ https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/chausse-trapes-de-remontee-puissance-defis-ecueils
Bref, il ne faut donc pas trop compter sur un mécanisme de balancing interne qui viendrait compenser un balancing externe. Même si ce mouvement a lieu, il sera long, et aux résultats mitigés. 11/ https://www.cambridge.org/core/journals/world-politics/article/balance-of-power-in-the-balance/E81249E8E8763798F288942F1F8FD4EF
Contre-argument: « Oui, mais les États-membres de l’OTAN ont augmenté leurs budgets de défense depuis 2014, ce qui est la preuve d’une réaction face à la menace? ». Donc si on poussait la logique plus loin, le mécanisme d’ « internal balancing s’appliquerait »? 12/
Sauf que c’est bien plus les processus de coordination au sein de l’OTAN qu’une perception partagée de la menace qui expliquent cette hausse 13/ https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09662839.2020.1716337?src=recsys
Et dans le cas extrême d’un retrait américain complet de l’OTAN, il faudrait que les Européens dépensent entre 288Mds et 357Mds de dollars pour compenser les pertes capacitaires entraînées par le retrait US et s’imposer dans un conflit limité. 14/ https://www.iiss.org/blogs/research-paper/2019/05/defending-europe
Autant dire que pour les raisons évoquées ci-dessus, et avec le contexte d’une récession, ces investissements ont fort peu de chances de voir le jour: l’ « internal balancing » est bien improbable. 15/
Attention, les Etats-Unis n’investissent pas dans la sécurité européenne par générosité et bonté d’âme: ils y ont évidemment un intérêt, ne serait-ce que la stabilité d’un marché de 500 millions de consommateurs et la disponibilité de points d’appui. 16/ https://www.iiss.org/blogs/military-balance/2018/07/us-and-nato-allies-costs-and-value
Mais dans tous les cas, imaginer qu’un retrait US serait compensé par un « internal balancing » semble illusoire et est démentie par l’histoire. Ce ne sera jamais une compensation terme à terme, même si elle a lieu. 17/
En d’autres termes, il faut peut-être s’y préparer, mais le résultat net d’un retrait américain serait une diminution de la sécurité européenne, même si une hausse des budgets de défense européens avait lieu, ce qui est loin d’être sûr. 18/
Conclusion: se préparer à un éventuel retrait américain, ce n’est pas que demander des budgets de défense supplémentaire, c’est surtout préparer les populations européennes et leurs dirigeants à une diminution de leur sécurité et donc des risques de conflits. FIN