Carlos Betancur : Entre famille, prises de poids, Colombie, Ag2r, Movistar et méthode Coué, comment l'un des coureurs les plus prometteurs de sa génération a sombré dans l'anonymat du peloton, en 3 ans à peine.

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Tout d’abord, les articles référencés qui m’ont servi à vous proposer la prose que voici
Carlos Betancur est né à Ciudad Bolívar, petite commune Colombienne située au sud-ouest d'Antioquia. Son père est fermier et cultive, entre autre, du café
S’il ne semble jamais avoir manqué de nourriture dans dans la jeunesse, “Bananito” considère avoir eu une enfance “pauvre” et “difficile” (1)
Sa tante lui offre son premier vélo, bariolé et lourd, un noël. L’enfant se prend à aimer l’engin. Son père, Don Ignacio, à besoin d’aide pour la ferme : Carlos négocie l’apport de ses bras contre une autorisation à la pratique du vélo.
Il chevauche un cheval et accompagne son père pour aller vendre les légumes au marché. Ou part travailler dans les champs. Mais très vite, il va montrer un naturel qui le suivra tout du long de sa carrière : il est dilettante.
Sa femme raconte : “« Il cherchait toutes les excuses pour ne pas travailler aux champs et sortir à vélo. "Je ne peux pas cueillir de café", disait- il à ses parents, "parce que je m’abîme les ongles ." (46)
Un autre jour, Don Ignacio, rentre chez lui dans l'après-midi et demande à sa femme où se trouve le panier de collecte de Carlos Alberto. Son épouse répond à son grand désarroi qu’il a délaissé les haricots pour aller se promener en vélo. (46)
Et de ce côté, ça va mieux. Enfin sportivement, car niveau comportement, c’est loin d’être parfait non plus. Il intègre le club de la Ciuda Bolivar entraîné alors par Gabriel Jaime Vélez. Qui peint un portrait du garçon, pour le moins atypique :
“Il était distrait, indiscipliné, se battait avec ses compagnons, il était irascible, vulnérable. Fort sur le vélo et faible dans les relations avec les autres. Je l'ai menacé de ne plus le laisser courir, ça lui a remis la tête en place: le vélo était tout pour lui” (46)
De bons résultats au sein de l’Indeportes Antioquia lui ouvrent les portes de l’Europe. Il intègre en 2011 la formation Acqua & Sapone.
Là aussi, il se démarque du lot. Franco Gini, le responsable de l’équipe, aujourd’hui décédé, témoigne d’un : “garçon vivant, parfois indiscipliné. C'est un farceur, il aime plaisanter, quand on arrive à l'aéroport il fait toujours semblant d'avoir oublié son passeport"
(On va le voir, le coup du passeport va devenir une plaisanterie récurrente dans sa carrière, pas forcément au goût de tous)
Ses débuts sont plus que prometteurs. En 2012, il part signer un contrat chez Quickstep. Mais les tests de résistance se concluent par un échec, ses jambes sont encore gonflées par son voyage en avion.
Finalement, après l’avoir vu battre Philippe Gilbert lors de la 5eme étape du Tour de Belgique, Quickstep l’appellera pour le faire signer. TMais il a conclu une union avec Ag2r entre-temps.
Un mariage “pour le meilleur ou pour le pire” (rarement cliché aura été plus adéquat)
Il manque Tirreno Adriatico:“J'ai eu un problème de visa qui m'a empêché d’y participer. il a fallu un certain temps à AG2R pour m'envoyer des papiers dont j'avais besoin pour pouvoir venir. C'est pourquoi j'ai décidé de rester en Colombie pour continuer à préparer la saison” (2)
Ses débuts sont plus que prometteurs : Ardennaises, Giro, des courses où il montre un potentiel énorme. Il se sent bien, "AG2R, c’est alors bien mieux que je ne le pensais, malgré la complication de la langue, j'ai l'impression d'être chez moi” (2)
Fatigué, il entame l’un de ses retours, en Colombie, dont il sera coutumier. Et là la machine commence à se gripper. Le début de la fin en somme : “J'ai eu une mauvaise grippe et une amygdalite, puis des problèmes familiaux” raconte-t-il (14)
Réticent à faire la Vuelta, son équipe le convainc qu’elle sera la course idéale pour préparer les mondiaux de Florence. De fait, il va traverser la Vuelta comme un fantôme, en méforme totale. L’inactivité l’a fait grossir.
Pierre Carrey (Libération) raconte qu’en août 2013, il part au Mac Donald de Chambéry, avec 2 comparses, s’enfiler des cheeseburgers, 10 jours avant ce fameux Tour d’Espagne.(15)
2014, Janvier, Tour de San Luis. Il n’échappe pas aux plaisanteries de ses coéquipiers. JC Péraud raconte : «Ses manchettes serraient ses bras comme des saucisses.» (15). Il faut dire qu’il se présente en Argentine avec 10-13 kg de plus que son poids de forme.
Ses mauvaises habitudes alimentaires persistent :”«Ce gars mangeait des cochonneries toute la journée. Il attaquait le petit déj avec une montagne de pains au chocolat. Puis c’était des bananes, tout le temps, à table ou sur le vélo”(15)
Il ne dit pas non à la bière également
Étonnement, c’est toujours en surpoids (4-5 kilos de trop) qu’il remporte Paris Nice 2014. Puis traverse les courses suivantes sans résultats. Il avait demandé et obtenu de faire le Tour de France, il retourne le préparer en Colombie.
Le 3 juin, un membre de l'équipe part récupérer Betancur à l'aéroport de Lyon. Mais le coureur ne sort pas. Il n’a pas pris l’avion. Vincent Lavenue, perplexe explique que la présence de Carlos Betancur sur le Tour risque d’être compromise:
"Aujourd'hui, nous pouvons dire que sa participation est très incertaine. C'est un talent incroyable mais il est très difficile à gérer. Il a vraiment besoin de retourner dans sa famille mais quand il est là-bas, c'est difficile de le faire revenir" (L'Équipe) (36)
Problème, c’est que dorénavant, le coureur Colombien est injoignable (c’est assez récurrent de sa part). Ni son entraîneur, Michele Bartoli, ni son équipe, ni même (officiellement) son agent, Giuseppe Acquadro ne parviennent à nouer contact.
Jusqu’à ce que Betancur donne une interview où il annonce d’une part qu’il ne fera pas le Tour, et d’autre part, qu’il va quitter son équipe. Ag2r n’est, alors, pas au courant de cette décision, et déclare entamer une procédure interne.
Les raisons de cette absences sont toutes aussi multiples qu’elles sont mystérieuses. Naissance de son enfant, proximité familiale, seraient évoquées comme principales raison. Sa femme décrit aussi un Betancur plus “apaisé” en Colombie :
"Quand il revient d’Europe, il est stressé. Puis il redevient comme avant: doux, calme. Il se lève tôt le matin, enfile ses tongs et va parler au propriétaire d'une confiserie ou part bavarder avec tout le monde, devant le magasin de vélos du quartier”(46)
Souvent interrogé sur le sujet de cette absence, le colombien, lui évoque tantôt une billet d’avion non reçu, tantôt un cytomégalovirus (sorte de mononucléose bis). Maladie dont les symptômes principaux sont fièvre, fatigue et ...perte de poids
"Il était malade mais nous n'avons jamais vraiment découvert le type de maladie qu'il avait. Le bilan de ces quatre mois n'est pas positif . Il doit apprendre à vivre avec nous et à s'adapter à notre philosophie, et non l’inverse “ dira Lavenu(34)
Betancur est vexé : “ J'ai lu de nombreux commentaires désobligeants à mon sujet. Ce qui me fait le plus mal, c'est qu'ils viennent aussi de mon équipe et de mes coéquipiers. Cela devient frustrant lorsque votre équipe ne vous soutient pas et ne vous comprend pas.”(46)
Début août, son agent annonce qu’il quitte Ag2r d’un “commun accord” avec Vincent Lavenue.
Mais un échange entre le coureur et son manager, lors de la Vuelta apaise les tensions. Ce dernier lui propose, sans succès, de l’aider à déménager sa famille en France.
la Vuelta, donc. Il débarque en Europe avec 14 kilos (autour de 75 kg) en trop , au grand dam de Vincent Lavenu qui déclare, dépité : "C'était très difficile de le faire revenir en France, entre 'avril et juillet, il n'a pas eu le comportement d'un athlète de haut niveau..."(36)
Pas de quoi inquiéter Carlos betancur, qui explique de son côté, avant la Vuelta : “Prendre du poids, c’est très facile, mais je perds des kilos facilement aussi. Comme je me connais moi-même, pour la Coupe du monde et le reste de la saison, ça va bien aller.” (26)
Sa fin de saison 2014 sera, sans surprise, un échec.
Malgré les déclarations optimistes d’usage en début de saison, la réalité ne tarde pas à frapper à la porte : Carlos Betancur n’y arrive plus, et le ressort semble cassé entre lui et son équipe.
On l’inscrit au Giro - qu’il terminera vingtième - sans trop y croire, comme le relate Julien Jurdie : “Nous l'avons emmené courir parce qu'il s'appelait Betancur, mais cela faisait trois ans que c’était la même histoire" (21)
Ce sera la fin de son aventure avec AG2R. Fin Août, les parties annoncent se quitter d’un commun accord : "Nous n'avons pas trouvé les clés pour accompagner Carlos Betancur” explique le communiqué de l'équipe
Jean-Christophe Péraud raconte ces années en maillot AG2R: "Si on me pose des questions sur Betancur je ris, et seuls ceux qui l'ont connu peuvent comprendre pourquoi. C'est un coureur qui n'a pas de logique, on ne comprend pas comment il marche ". (44)
Bananito garde lui le souvenir d’années dures:“J'aime rire avec les gens, parler et ici, c'était plus fermé, j'ai souffert. La solitude me tuait. Si je pars à nouveau, ma famille m’accompagnera. Je ne veux plus ressentir cette solitude, ce vide que je ressens sans eux"(3)
Il est certain que la naissance de son fils - qu’il adore - en 2014, couplée à l’éloignement géographique avec sa femme et sa famille, a été un tournant de son évolution en tant que sportif.
Finalement, il va signer chez Movistar. Un pari d’Unzué, dont nombreux doutent en interne et pour cause : Lors de la présentation de l’équipe en 2016, ils sont deux à être absents : Adriano Malori, lourdement blessé. Et Carlos Betancur. Officiellement : problème de visa
Officieusement, un coureur montre, sourire en coin, à un journaliste une photo de “Bananito” prise en novembre : il a 20 kilos de trop. “Eusebio Unzue aime ce genre de paris. Mais nous pensons qu'il s'est trompé cette fois" (44)
En tout cas, Betancur est optimiste:"Je ne pense pas que ma signature soit une 2ème chance pour moi. Je vois cela comme une continuation de ma carrière sportive. Les deux années au cours desquelles j'ai souffert ne seront pas un obstacle à la réalisation de grands objectifs"(27)
Il en profite pour glisser, ça et là, quelques tacles appuyés à son ancienne équipe :”Eusebio est heureux que nous (Colombiens) passions beaucoup de temps à la maison. Et ici, à Movistar, nous verrons qui avait raison, AG2R, ou bien Carlos Betancur". (38)
La vie chez Movistar devient idyllique, et ce... très rapidement : “Je ne suis avec Movistar que depuis une semaine, et j'ai l'impression que je suis avec eux depuis quatre ou cinq ans. Je pense que tout se passera bien “ (38)
En mai 2016, il annonce avoir “presque” réglé ses problèmes de poids :”Maintenant, je n'ai plus que sept kilos en trop. Je suis donc là où un cycliste professionnel doit être.» (44)
Betancur entame en parallèle quelques changements qu’il avait rechigné à accepter de la part d’AG2R (tout en leur reprochant un “manque de professionnalisme”) : Il déménage à Pampelune avec sa famille. Collabore désormais avec un nutritionniste.
Car il a été frappé par la grâce: en 2017, il avoue que:”je n'étais pas conscient de l'importance du poids. J'allais sur les aux courses, je gagnais et je pensais que «le poids n'est pas si important». maintenant, j'ai réalisé que le poids ... c'est presque tout” (5)
Ceci dit, les résultats ne suivent pas vraiment, une chute vient même le priver, lors de la Vuelta 2017, d’un gros résultat (selon lui) : “Comme je me connais, j'aurais été parmi les cinq premiers de la Vuelta” (4)
Malgré son absence de résultats, Unzué insiste : “ C'est un défi personnel. Parfois je voudrais l'exclure, je pense "qu'il y a des gens plus forts que lui", mais je n'aurais pas de regrets de ne pas pouvoir tirer le meilleur parti de cet incroyable talent qu'il a" (46)
Il lui lance alors un ultimatum : 2019 sera sa dernière occasion pour s’exprimer chez Movistar. Il est privé du Tour de Colombie pour cause de méforme : "Il doit être professionnel douze mois par an. Tout dépend seulement de lui ” (3)
Sans doute sauvé par le départs de quelques coureurs importants de Movistar, il rempile pour 2020. Optimiste sur son futur : “ J'ai un contrat jusqu'en 2020. Mais je pense qu'en faisant bien les choses, cela peut durer encore de nombreuses années " (3)
“Je voudrais courir jusqu'à 38 ans, puis retourner en Colombie. Un cycliste de 38 ans n'est pas vieux, maintenant les cyclistes prennent leur retraite à 42 ou 43 ans. Terminer par 2 ans en Colombie. Le vélo, c'est ma vie” (1)
Alors, Carlos Betancur, arnaque ? Talent gâché ? Personnalité trop instable ? Un coureur qui ne supporterait pas l’éloignement de sa Colombie natale ? Un coureur qui aurait radicalement changé à la naissance de son fils ?
C’est lui qui y répond le mieux :” quand on parle de moi derrière mon dos, je m'en fiche.

En ce qui me concerne, je le sais, j'ai toujours été mon pire ennemi”(46)

#fin
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