Thread (long) sur les sanctions américaines contre la Syrie à l'occasion de leur intensification avec le "Caesar Act" et ce qu'elles révèlent de ceux qui sanctionnent et de ceux qui en causent.

Les journalistes et twittos les moins idiots interrogent gravement l'éventuelle inadéquation entre ces sanctions américaines et les objectifs affichés : l'amélioration de la situation politique en Syrie.

Cette amélioration politique supposément recherchée par les USA est généralement envisagée selon 2 voies possibles : la forme de concessions politiques du régime (Constitution, engagements de régularité de l'élection présidentielle, ...) ou carrément l'effondrement du régime.

Une fois assumé que l'effondrement par simple effet automatique de la pression est hautement improbable à court terme après 9 ans de guerre où il tient toujours au milieu d'une population épuisée par cette guerre, reste la 2e hypothèse que l'on discute doctement.

On débat alors de savoir si le régime des sanctions grévant la reconstruction peut jouer du désir d'un retour sur investissement de l'allié (russe) pour faire pression, et chacun d'évaluer dans cette hypothèse la marge d'autonomie obstinée du régime à y résister.

Vieille rengaine, qui poussent les moins oublieux à se demander s'il n'est pas pour le moins improbable que le régime se soumette à ces éventuelles pressions de leurs alliés, après tant de fois où l'on nous l'a annoncé, faisant alors souffrir inutilement la population syrienne.

Au mieux en critiquant ainsi l'inadéquation sanctions/objectifs affichés (hypothèse de l'irrationalité), on débouche sur une discussion morale oiseuse: ce mieux incertain de la situation politique vaut-il cette dégradation certaine des conditions de vie de la population?

J'affirme qu'il y a erreur sur la méthode. S'agissant de politiques qui ont déjà été pratiquées et évaluées (en Irak, par exemple), il faut au contraire en postuler la rationalité (adéquation des moyens/objectifs) pour en dévoiler les objectifs réels.

Ces sanctions visent donc bien à affaiblir le régime syrien et mettre en difficulté ses alliés. Et la dégration des conditions de vie de la population ne sont pas un dommage collatéral de l'irrationalité de ces sanctions, mais une conséquence assumée.

Car le problème de ces critiques "raisonnables" et autorisées est qu'elles admettent, ou font mine d'admettre, que l'objectif américain d'affaiblissement du régime doit se comprendre comme l'affaiblissement de son contrôle politique de la population.


Mais si ces sanctions ne sauraient rationnellement produire rapidement une déprise du régime sur sa population par attrition financière ou bien pousser cette population épuisée et résignée à une révolte significative contre lui alors...


c'est que leur rationalité consiste à viser la destruction des conditions de vie de la population pour elle-même et sans autre effet second recherché. La réduction à la misère sans espoir des syriens EST le moyen direct de l'affaiblissement du régime visé par ces sanctions.


Les USA ne cherchent donc plus à modifier significativement le rapport régime/Etat/population, ils ciblent en fait la population comme un des moyens d'atteindre les deux autres membres de l'équation.


C'est une stratégie de destruction des ressources de l'adversaire. D'un côté on limite autant que possible l'accès du régime à certaines parties du territoire et leurs ressources (pétrole et blé du nord-est), d'un autre on détruit la valeur du territoire qu'il contrôle.


En appauvrissant toujours plus la majorité de la population syrienne restante en Syrie on prive ainsi l'Etat et le régime qui le contrôle de ressources et on espère contraindre ses alliés à s'épuiser à pourvoir aux besoins élémentaires de celle-ci et à ceux du régime/Etat.


Cette logique stratégique qui consiste à cibler la population contrôlée par l'adversaire pour obtenir l'avantage sur celui-ci est, transposée au domaine militaire pur, la logique du crime de guerre. Paradoxe du "Caesar" act...


N'ayant pu obtenir le renversement du régime par une révolution de palais ou par effondrement militaire de l'Etat qu'il contrôle, les Occidentaux s'attaquent directement à sa population, population qu'ils prétendaient vouloir aider à se libérer de son emprise brutale.


Parabole du jugement de Salomon. Si l'on peut délibérément cibler toute une population sans espoir sérieux d'un amélioration à court terme alors c'est que l'amélioration de sa situation n'a jamais été l'objectif.


L'autoritarisme du régime était donc une question purement instrumentale pour les Occidentaux. La question de fond est et a toujours été le contrôle de la puissance syrienne et son inscription dans des réseaux d'alliance.


Si je ne peux pas influencer les choix stratégiques de qui dirige l'Etat syrien, alors je vais combattre cet Etat pour choisir qui le dirige. Si je ne peux pas changer qui le dirige, alors je vais le détruire assez pour que ses choix stratégiques soient sans importance.


Autrement dit au fameux "Assad or we burn the country" des loyalistes obtus a toujours répondu
le tacite "Not Assad or we burn the country" de ses adversaires extérieurs ou syriens...
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