Thread by @VMARQUESAvocat, Je suis très en colère par la façon dont la justice a [...]

Je suis très en colère par la façon dont la justice a été rendue aujourd’hui.
J’ai failli écrire « simulacre de justice »mais je le suis reprise histoire qu’on ne vienne pas me reprocher de piétiner mon serment.

Aujourd’hui c’était jour de perm.
Une perm qui s’annonçait chargée.
Beaucoup de personnes renvoyées détenues ce week-end pour être jugées en CI aujourd’hui.
Pas mal de déférés du jour aussi comme on dit, ces gens qui finissent leur GAV et passent la nuit au dépôt du tribunal.

Deux ouvertures d’information aussi avec saisine du JLD.
Des majeurs. Des mineurs.
Des CPVCJ : ces gens qui sont déférés pour être placés sous contrôle judiciaire avant d’être jugés dans quelques mois.

Des comparutions immédiates différées aussi.
Des gens qui auraient du être jugés en CI mais pour lesquels la procédure n’est pas terminée pendant le temps de la GAV.
Il manque des actes.
Alors on requiert leur placement en détention provisoire avant leur jugement en juillet.

Une des jolies nouveautés que nous a offert la loi de programmation de la justice.
Déférer plus. Toujours plus.
Même quand ce mode de poursuite n’est pas en adéquation avec le profil des mis en cause.
Tant pis. Déférer plus. Toujours plus.

J’avais la chance d’avoir une super équipe de confrères de perm. Une élève avocate motivée une pré permanencière au taquet.
Des parquetiers et des magistrats très agréables.
Des greffiers motivés.
On avait aussi des policiers très fâchés mais ça c’est un autre sujet.

Ça allait être une grosse journée mais on allait s’en sortir. Comme d’habitude, en se retroussant les manches, en ne rechignant pas sur la charge de travail et même en souriant un peu. C’est ça l’esprit à Bobigny.
On est tous dans la même galère alors on rame ensemble.

Et puis au fur et à mesure de la journée, surviennent les couacs, les problèmes.
D’abord à 13h les confrères n’ont toujours pas pu rencontrer les 8 personnes extraites pour être jugées à 13h !
Ils ne sont pas arrivés.
Préparer leur défense ? Mais ? Pour quoi faire ?

Bon ensuite les policiers du département décident de manifester sur le parvis (si si c’était une manifestation) et ça met un peu la pagaille dans le tribunal.

Comme on a exigé - crise du COVID exige - que les personnes gardées au dépôt soit encellulées individuellement, on apprend que du coup les autres qui ont été extraites ce matin pour être jugées, attendent dans des fourgons devant le tribunal, que des cellules soient libérées !

Allô ? @AdelineHazan ?
Bon on est sûrement pénibles à exiger que nos clients soient détenus dans des conditions sanitaires sûres, c’est vrai.
Du coup, on va pas râler maintenant parce qu’ils attendent des heures dans le fourgon !!! En plus il fait pas encore chaud ça vaaaa !

Viens maintenant le moment CI différées. Le parquet attend des actes et en plus comme les CI sont déjà pleines à craquer, tentons cette procédure.
Des majeurs et un mineur. Le parquet requiert leur placement en détention et un jugement à bref délai.

Mais ? On fait comment chez les mineurs? Il n’y a pas de date d’audience à brève délai ? On va qd même pas placer ce mineur inconnu de la justice en détention ?
Heureusement le magistrat s’y refuse.
Mais bon comme le mome n’a pas d’adresse on sait pas bien comment il sera jugé.

Les trois majeurs ? Bon aller on prend des réquisitions copier coller. On a pas le temps d’individualiser la motivation pour justifier qu’une mesure privative de liberté soit prononcée à l’encontre de ces personnes qui vivent dans la plus grande précarité. La journée est chargée.

Ah il faut faire vite parce qu’il y a un délai qui pète à 17h. Il s’agirait pas de louper le coche. Bon on est tous un peu sous pression, donc on envisage un temps, d’interrompre les délais !
Cette belle pratique qu’on tolère depuis des années au mépris des droits de la défense

C’est la que je commence à bougonner et à dire au JLD consciencieux, que je suis pas du tout d’accord avec cette pratique et que ce serait bien qu’on arrête.
C’est quoi le délai de 20h ?
Rappel.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000029370879&cidTexte=LEGITEXT000006071154&dateTexte=20141001
Quand une personne a fait 48h de GAV et est déferrée, elle doit être présentée à un juge du siège dans un délai maximum de 20h.
Sinon elle est remise en liberté.

L’idée de ce texte est, vous l’aurez compris, que la personne déférée après 48h de GAV et une nuit au dépôt, ne soit pas détenue trop longtemps avant d’être présentée à un magistrat.
Sauf que ... ben c’est compliqué !

À Bobigny on défère la plupart du temps à 19h. Donc il faudrait voir le juge avant 15h.
Mais ça c’est si on a vu son avocat, son enquêteur de personnalité et si bien sûr tout le monde est prêt à l’heure. Ce qui n’arrive jamais.
Alors on bricole.

Le texte dit que « la personne retenue doit être effectivement présentée à la juridiction saisie ou, à défaut, au juge des libertés et de la détention avant l'expiration du délai de vingt heures » dont acte.
On la monte donc en salle d’audience et on interrompt les délais.

Et bien sûr on dit « Madame ou monsieur on vous revoit tout à l’heure pour prendre votre dossier quand il sera en état. ».
On mobilise des policiers de l’escorte des magistrats des avocats tout ça pour venir pointer devant son juge.

Alors moi aujourd’hui déjà que je suis chonchon du fait de l’absence de motivation individualisée de la demande de placement en DP, déjà que la CI différée ca me plaît pas, autant dire que l’interruption des délais ça a été le truc en trop.
L’esprit de la loi bon sang.

Comme on était tous de bonne composition, on a fait un effort et on a réussi à gérer notre dossier sans interrompre les délais. 2 des mis en cause ont été placés en détention un sous contrôlé judiciaire, l’honneur est sauf.

On a aussi eu aujourd’hui les dépôts midi qui arrivent après 15h passé.
Midi / quinze heures

Mais bon c’est la faute aux policiers il parait, c’est à cause d’eux que les procédures et les mis en cause ont traîné à arriver au tribunal.

#Askip

Je râle encore .. toujours ... souvent ! Mais bon personne n’est responsable. Ni la proc ni moi. Donc on fait bon gré mal gré une fois de plus.
Il faut descendre maintenant au dépôt pour notifier ? Jai pas vu le dossier ? Bon dans 10 minutes ça vous va ?

Finalement comme je suis coincée avec mes CI différées ben tant pis pour les dépôts midi. Faites sans moi Madame le Procureur.
Et oui, l avocat de la défense ne peut pas être partout et a donc du sacrifier les trois personnes qui étaient au dépôt seules avec le procureur.

Ensuite on récupère la copie des procédures et là on apprend que la Présidente qui doit déjà faire face à sa grosse audience, va renvoyer les dépôts midi pour « surcharge de l’audience ».
Reste à savoir si les sacrifiés seront laissés libres ou placés en détention ?

suspens

Évidemment comme les dossiers sont arrivés tard, on a plus d’enquêteurs de personnalité disponibles. Pas grave on va faire un PV de carence.
Ben ouai mais comment on fait pour plaider la personnalité alors ?

Mais on continue de sourire. On explique au client, 20 ans. Qu’il va être renvoyé et qu’on va tout faire pour le sortir. Après tout il n’est pas responsable de la surcharge de l’audience.
Ah ? Il n’a pas de papiers ? Ah il travaille au noir ? Ah ? Nan mais vous inquiétez pas.

Et à l’audience moments de gêne quand le juge nous explique qu’il n’a pas du tout vu le dossier. Quand elle commente le futur mariage de celui qui est dans le box, il est étranger ... ce mariage c’est pour les papiers ... c’est pas moi qui le dit c’est lui Maitre.

J’ai l’audace de demander si c’est plus grave de ce marier pour les impôts ? Et puis le travail au noir c’est pas interdit ? C’est le patron pour qui c’est interdit. Il n’y a pas d’enquête sociale on n’a pas pu vérifier ses dires mais il n’est pas question qu’il en pâtisse.

Lui voulait être jugé aujourd’hui. Pas d’antécédents. Il aurait pris au mieux du sursis au pire un sursis probatoire.
Sauf que la, comme il n’a ni papier ni garantie de représentation il va dormir en prison jusqu’à fin juillet.
C’est comme ça.

Il n’a pas pu être jugé parce que le tribunal était surchargé. Que même si on est tous plein de bonne volonté on peut pas gérer correctement ce flot de déferrements. Quel sens ça a de juger quelqu’un après minuit ? Qui peut supporter ça ?

On s’accommode de pratiques qui permettent que ça tourne comme on dit. Que la chaîne pénale ne s’enraye pas. Mais en faisant ça on est acteur, complice d’une mauvaise justice. La justice expéditive. Celle qui ne prend pas le temps, celle qui dépote, celle qui fait un peu honte.

Entendons nous bien, on fait tous avec les moyens du bord. Mais peut on prendre le temps de se dire que ce n’est pas satisfaisant ? Que la justice de notre pays ne devrait pas être rendue de cette manière ? Tous les professionnels qui ont œuvré aujourd’hui ont fait au mieux.

Mais moi, la chez moi à la fin de cette journée, je suis en colère. Parce qu’à ma manière j’ai aussi œuvré pour que la justice soit mal rendue
J’aurais du géré les déferrements dépôts midi j’aurais du refuser le renvoi
On m’aurait attendue
C’est pas pour ça que j’ai prêté serment

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