Comment défendre et étendre la sécurité sociale aujourd’hui ? En se rappelant qu’elle est issue de la lutte de classe, c’est-à-dire d’une lutte violente et illégale contre le capital et l’État.

Fil à dérouler à partir de mon article dans @SRContretemps https://twitter.com/SRContretemps/status/1264870977168605189
L’analyse historique de la sécurité sociale, de sa construction et de ses transformations, montre que c’est une institution politique issue de conflits non institutionnalisés.
Dire que la sécurité sociale est une institution politique signifie qu’elle met en jeu le pouvoir de décider de ce qu’il convient de faire. La sécu ce n’est pas qu’une question technique ou financière.
Dire que la sécurité sociale est issue de conflits non institutionnalisés signifie qu’elle est le produit d’action illégales, en rupture avec l’ordre établi. Ce que l’on appelle parfois… la « violence ».
Dans le capitalisme français du 20ème siècle, la sécurité sociale est une conquête de la classe ouvrière obtenue dans la résistance à l’État et au capital.
Cette conception de la sécurité sociale tranche avec la définition usuelle qui en fait une institution économique dont l’évolution dépend de conflits institutionnalisés (débat public, argumentaire scientifique, vote, manifestations, etc.).
L’originalité de la sécurité sociale de 1945 est qu’elle est construite contre l’État et qu’elle repose sur le pouvoir politique des intéressés eux-mêmes. Elle est fondée sur l’auto-organisation et attribue dans le domaine économique la majorité politique aux cotisants.
Il va sans dire qu’aujourd’hui certaines organisations politiques et syndicales ont progressivement ressaisi la lutte pour une conception politique de la sécurité sociale.
Cependant, elles n’ont fait que la moitié du chemin car elles ont oublié que la conquête de la sécurité sociale a été le fruit d’un conflit non institutionnalisé particulièrement violent, en dehors de toute légalité.
Autrement dit, ce n’est probablement pas en jouant le jeu de l’État et du capital (élections, manifestations, négociations, compromis) qu’il sera possible de reconquérir la sécurité sociale.
Le texte dans revient en détail sur 3 aspects : 1) la sécu s’inscrit dans la lutte contre le capitalisme, pour la démocratisation 2) L’État et le capital ont cherché depuis 1946 à contester la sécu et ils y arrivent 3) cela induit des inégalités de classe face à la santé.
Je vais revenir dans la suite de ce fil plus en détail sur le premier point et je renvoie les personnes intéressées vers le texte. Attention, je ne parle que de la santé, alors que la sécu est une institution plus vaste.
L’histoire de la sécurité sociale a partie liée avec l’histoire de la démocratie et du capitalisme. Pour le comprendre, il faut reposer le cadre de la Révolution de 1789.
La bourgeoisie cherche à conquérir un pouvoir politique équivalent à son pouvoir économique mais elle ne parvient pas à passer un compromis avec l’aristocratie qui défend à tout prix ses privilèges et l’ordre féodal (clergé, noblesse, tiers-état).
Par exemple, la constitution de 1791 distingue les citoyens passifs et les citoyens actifs, les pouvoirs politiques ne concernant que ceux qui peuvent se les offrir. La monarchie constitutionnelle (censitaire) est l’idéal politique de la bourgeoisie.
La bourgeoisie craint, à juste titre, qu’en donnant le pouvoir politique aux masses, celles-ci s’en saisissent pour limiter la propriété privée et distribuer les richesses. C’est l’une des raisons qui pousse l’abbé Sieyès à préférer un régime représentatif à la démocratie.
Il faut noter un fait très stable dans le temps : la bourgeoisie cultive une haine de la démocratie. Et les évènements de l’an II lui donne raison d’avoir peur !
En même temps, la Révolution française promeut le laissez faire, laissez passer (libéralisme économique). Les corporations d’ancien régime sont démantelées et les coalitions interdites.
Les masses populaires sont donc à ce moment-là prises en étau entre la fin des protections d’Ancien régime (notamment le recul de la charité chrétienne) et le refus de l’État bourgeois de mettre en place une politique sociale à la hauteur.
Cet étau ne cessera pas de se resserrer au 19ème siècle avec la progression de l’industrialisation. L’État demeure pourtant dans sa posture libérale et refuse d’intervenir si ce n’est pour écraser dans le sang les rebelles.
En même temps, l’industrialisation et l’urbanisation meurtrit les corps comme rarement auparavant. Friedrich Engels et Louis René Villermé ont longuement décrit la situation dramatique des classes laborieuses (respectivement en Angleterre et en France).
C’est cette situation qui oblige les ouvriers à une méthode d’organisation particulière : l’auto-organisation, contre le capital, qui détruit les métiers et impose une concurrence mortifère, et contre l’État, qui laisse faire et réprime dans le sang la contestation.
Bien que l’on se souviennent plus souvent des coopératives ouvrières, un autre grand type d’institution se développe à ce moment-là sur le principe d’auto-organisation : les sociétés de secours mutuels, ancêtres de la sécu.
Si la mutualité est parfois un instrument de domination des classes dirigeantes, elle est régulièrement détournée de son usage initial pour organiser la lutte. Les mutuelles peuvent ainsi servir de caisse de grève alors que cette pratique est interdite.
Face au développement de la contestation, l’État va trouver un moyen d’anéantir l’esprit subversif des mutualistes en institutionnalisant la mutualité. Le décret impérial de 1852 distingue les mutuelles approuvées et les mutuelles autorisées.
Les premières bénéficient de nombreux avantages en échange d'un contrôle politique, contre la démocratie ouvrière. Mais de nombreux ouvriers ne sont pas dupes et veulent conserver leur autonomie.
L’État se réapproprie au cours du temps les mutuelles en renforçant le cadre législatif, ce qui conduit la partie du mouvement ouvrier la plus radicale à préférer le syndicalisme (autorisé en 1884).
Entre temps la Commune de Paris avait été un moment central d’auto-organisation populaire et la IIIème République s’est construite, bien évidemment, sur la lutte contre l’Église mais aussi contre la Commune, qu’elle a massacré.
La violence de la lutte de classe ne s’arrête pas sur les cendres de la Commune. La IIIème République refuse toujours d’intervenir dans son esprit libéral et s’appuie sur les mutuelles « dé-radicalisées » pour sa politique sociale.
La réappropriation par l’État des mutuelles est un succès : alors qu’elles étaient subversives, elles tombent progressivement dans le conformisme et l’acceptation de l’ordre établi (capitaliste).
Sans revenir sur la période vichyste de la mutualité, Pierre Laroque, qui n’était pas un radical, parlait pour qualifier la mutualité du temps des assurances sociales (1928-1930) de « paternalisme social ».
La fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle voient naître les premières initiatives de l’État en France. Les loi d’assistance sont résiduelles et concernent peu de personnes (ex : Assistance médicale gratuite de 1983).
Les loi d’assurance sont également peu ambitieuses et contrôlées directement ou indirectement par les élites de la mutualité qui n’ont pour objectif que l’équilibre des comptes et la moralisation des cotisants.
La peur de la fraude sociale, de l’encouragement à la paresse et à l’imprévoyance, conduit la mutualité et l’État à n’offrir qu’une couverture très limitée alors que l’aspiration à la santé et les besoins de santé sont très développés.
Qu’est-ce que la sécurité sociale de 1945 ? C’est l’aboutissement (provisoire) du conflit de classe tel qu’il s’est développé depuis 1789. L’originalité de 1945 c’est le pouvoir aux intéressés, contre la démocratie censitaire, contre la mutuelle des notables.
La résistance pendant la guerre est aussi une résistance de classe (contre l’État et le capital) et cela se retrouve dans les rapports de force d’après-guerre. Loin d’un consensus généralisé, l’après-guerre est une période d’affrontement de classe d’une violence terrible.
Il faut bien différencier socialisation et nationalisation : la sécu est socialisée, les cotisants en prennent le contrôle, tandis que Renault est nationalisé, le gouvernement contrôle.
Qu’est-ce que cela change ? Tout ! Parce qu’ils ont connu dans leur chair les privations des années d’avant-guerre, le refus de l’État et du patronat d’améliorer la vie, les cotisants à la sécurité sociale savent ce qu’ils veulent et on les moyens politiques de l’imposer.
Évidemment, dès sa création la sécu est contestée et l’État conserve des prérogatives. Mais il faut mesurer 1945/1946 à l’aune de l’histoire : les classes ouvrières maintenues dans la minorité politique contrôlent désormais une institution de grande ampleur macroéconomique.
La sécurité sociale s’inscrit pleinement dans l’histoire de la lutte des classes en France. Après en avoir fini avec la démocratie censitaire, il s’agit de prendre le contrôle politique des institutions économiques.
L’histoire de la sécurité sociale à partir de 1945 jusqu’à nos jours peut être analysée comme un processus progressif de réappropriation de l’institution par l’État, au service du marché. Je n’entre pas dans le détail et renvoie au texte sur cet aspect.
Que peut-on en conclure transitoirement pour aujourd’hui ?
La sécurité sociale n’est pas le produit du débat, du compromis, d’élections, d’une étude économique coût/avantage, d’une tribune, etc. Elle est le produit de l’affrontement de classe qui a été, par la force des choses, violent et hors des cadres légaux.
Après les gilets jaunes, après covid-19, on aurait pu se dire que le gouvernement allait comprendre l’urgence et proposer un plan massif pour l’hôpital et le système de santé. Les évènements de ces derniers jours ne semblent pas aller en ce sens.
On peut alors se demander à partir de quel niveau de dégradation des conditions matérielles d’existence les masses populaires chercheront à s’auto-organiser et à prendre les risques liés à la lutte de classe – condition nécessaire pour défendre et étendre la sécu ?
Ce n'est pas une question rhétorique, je n'en ai aucune idée.
Je finis sur une note personnelle : a) je ne suis pas sûr de vouloir voir ce moment b) on a pas fini d’avoir peur de la police.

Fin.
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