Pour mon dernier (?) thread « anecdotes de traduction », je vais vous parler d’un titre pas encore sorti (mais c’est dans les tuyaux) : SPACE BATTLESHIP YAMATO 2199 ! Le remake de la série culte Yamato par Yutaka Izubuchi (RahXephon – dont je suis un grand fan).
1. Commençons tout d’abord par un élément d’ambiance de la série. Sur le Yamato, vaisseau spatial pressé par le temps, le charismatique commandant Jûzô Okita appelle parfois ses ouailles « [nom de famille]-kun » en japonais.
Le suffixe « -kun » japonais, accolé à un nom de famille, peut la plupart du temps se traduire en français par l’utilisation du prénom de la personne désignée (qu’on la vouvoie ou qu’on la tutoie). Pour Susumu Kodai, « Konnichiwa, Kodai-kun » deviendrait donc « Bonjour, Susumu ».
Or, dans le contexte de Yamato… on est dans l’armée ! Hors de question qu’un commandant appelle par leur prénom les personnes sous ses ordres. On pourrait alors choisir d’injecter le grade à la place. « Konnichiwa, Kodai-kun » deviendrait « Bonjour, lieutenant Kodai » en FR.
Or (encore), si en VO, le commandant Okita ne dit pas « lieutenant Kodai » mais « Kodai-kun », c’est à dessein ! On touche ici un point essentiel de la traduction : si une phrase n’est pas formulée de la manière la plus évidente, c’est le fruit d’un choix… qu’il faut reproduire.
Indépendamment du fait que « X-kun » peut se traduire par « M. X » (avec une nuance qui le différencie de « X-san », certes), depuis que je réfléchis à la traduction française de Yamato, j’ai dans l’idée d’utiliser cette forme de « Monsieur Bidule ».
Pourquoi ? Parce que ça rappelle grave Star Trek, et qu’appliqué à Yamato, c’est trop classe. Comme le capitaine Kirk dit à « Monsieur Sulu » de passer en distorsion, je me suis toujours imaginé le commandant Okita interpeller « Monsieur Kodai », « Monsieur Sanada », etc.
A noter que ce mode d’appellation est aussi utilisé dans Battlestar Galactica, dont le réalisateur de Yamato 2199 est un grand fan ! Bref, ce choix de traduction n’a rien d’innocent : il repose sur une intertextualité très probablement voulue par le créateur de la série lui-même.
Je vous parle de ce détail particulier parce qu’il est symptomatique du travail de traduction et, au-delà, de l’orientation / éditorialisation / style qu’on peut donner à une traduction : le cas où, pour un élément donné de la VO, on peut aboutir à plusieurs solutions en VF.
Sauf que vous allez choisir une solution plutôt qu’une autre, non parce qu’elle est plus exacte, mais parce qu’elle va plus dans le sens que vous donnez à l’œuvre. Parce que vous l’interprétez différemment, parce que vous voulez lui donner un ton particulier.
J’en profite pour saluer l’excellente traduction de One Punch Man sur @ADNanime, un parfait cas d’« éditorialisation » de la traduction. Traducteur at adaptateur(s) ont fait le choix de tourner un maximum de choses à la dérision. Et vu le contexte de la série, ils ont eu raison.
2. Parlons maintenant des génériques de Yamato, et plus particulièrement de son opening, repris de la série originale. On parle d’un standard de l’anisong japonais. Donc grosse grosse pression pour le traduire en français en version chantable.
Pour compléter mon propos sur les génériques de G Gundam, je vais ici détailler un peu plus le processus de traduction d’une chanson en japonais dont on voudrait que le pendant français reproduise la « musicalité » (donc même nombre de syllabes et rimes). https://twitter.com/saga_ce/status/1049218537913552898
En préambule, sachez qu’il existe déjà une reprise en français du générique de Yamato, en mode bossa nova par la chanteuse Clémentine. Mais, à mon sens, en dépit de l’instance de certains, cette version ne restitue par tout l’esprit de la VO. Donc laissons-la où elle est.
Voici donc la traduction du générique de Yamato : paroles originales et traduction « chantable ». 「宇宙戦艦ヤマト2199」OP歌詞フランス語訳は歌のリズムに歌えるんです!フランス語脚韻は原語版にも似ています!どうぞ説明画像を見てください!公式翻訳です。
Comme je l’avais évoqué lors d’une conférence sur la traduction d’anime à Japan Expo 2017, je vais vous expliquer les dilemmes successifs imposés par cette traduction. Les couleurs signalent les rimes en français, le fluo montre quant à lui la reprise des sonorités du japonais.
« Saraba / chikyû yo » « Au revoir / notre berceau ». L’objectif était de coller aux voyelles de la VO. D’où le choix de « notre berceau » pour dire « la Terre ». « Berceau » m’a semblé clair pour évoquer la Terre puisqu’on est habitué à l’expression « berceau de l’humanité ».
« Tabida- / -tsu fune wa » -> « Mon vaisseau / prend le départ ». Ici, je voulais conserver le son « a » final. Et, coup de bol, il était facile de caser une rime croisée en « o » à la césure. Emballez c’est pesé.
« Uchû senkan Yamato » -> « Le fleuron de l’arsenal… Yamayo ». Mais d’où ça sort ? Ça n’a pourtant rien à voir avec la VO, qui dit tout simplement « la cuirassé spatial Yamato » ! La raison est en fait très pratique.
Dans ce générique, le vers « Uchû senkan Yamato » est dit deux fois, au début et à la fin. Or, à chaque fois, il est prononcé avec un nombre de syllabes différent ! Quoi, le fuque ? Une fois en « U-chu-u se-n-ka-n » (7 syllabes), l’autre fois en « U-chu-u sen-kan » (5 syllabes).
On a donc le même texte prononcé avec deux nombres de syllabes différents, ce qui induit deux tournures différentes en français si on veut rester calqué sur la prononciation. C’est clairement problématique.
Pour dénouer ce casse-tête, je suis donc parti du vers le plus contraignant, celui avec le moins de syllabes (5, à la fin). Je voulais aussi que le vers se termine par le son « a » comme « senkan ». Rapidement, ça donne « spatial » à la place des deux dernières syllabes.
« Le cuirassé spatial », ça fait 6 syllabes. Ça ne rentre pas. Super. On va donc se contenter d’un « Le vaisseau spatial ». Toutefois, remplacer « vaisseau » par « cuirassé » pose un problème de sens : un vaisseau n’est pas forcément une arme. Un cuirassé, si.
Le mot japonais « senkan » (« cuirassé ») est d’ailleurs clair : il est composé des idéogrammes de « guerre » et de « navire ». Le Yamato est un navire de guerre. Si je dis simplement « vaisseau », ça pourrait aussi bien être un bâtiment civil. Problème. Gros problème.
Si je veux conserver mon « vaisseau spatial », et j’y suis quand même un peu obligé pour respecter le nombre de syllabes et la rime du dernier vers, il faut donc que je recase ailleurs dans la chanson qu’on parle d’un navire de guerre.
Et justement, il y a un autre endroit de la chanson avec « Uchû senkan Yamato » où j’ai plus de syllabes. Pour réinjecter la notion militaire : « Le fleuron de l‘arsenal » (et ça re-rime en « a » avec « senkan »). Le problème créé par la trad se résout donc ailleurs dans la trad.
Le reste de la chanson tente en poser des rimes en français (en collant parfois avec la sonorité VO). Je terminerai avec deux vers en particulier. D’abord « Te o furu / hito ni » -> « Ai-je répondu / d’un beau sourire », qui colle parfaitement à la VO !
Ensuite, avec « Harubaru nozomu » -> « De nos espoirs les plus fous ». Là, il y a une tentative de raccrocher au reste du texte une métaphore balancée telle quelle en VO en casant une sonorité similaire au passage. Mais la phrase est zarbi…
C’est en fait une faute de sens volontaire pour tenter de rendre encore plus épiques les derniers mots de la chanson, pour en faire une sorte d’envolée. Reprenons : « Iscandar est à portée / de nos espoirs les plus fous », c’est au demeurant contradictoire.
Soit Iscandar est à portée, et on peut bien l’atteindre ; soit on se voit atteindre Iscandar dans nos rêves les plus fous, auquel cas c’est probabilité zéro, ou presque. Pour concilier les deux, il faudrait dire « Iscandar N’est QU’à portée / de nos espoirs les plus fous ».
Parce que… qu’est-ce qu’on veut dire, au final ? Le propos de la trad française, c’est : « il n’y que dans nos rêves les plus fous qu’on arrivera jusqu’à Iscandar, et le seul capable de réaliser ces rêves de dingo… c’est le Yamato ! »
Personnellement, j’ai trouvé que la négation dans « Iscandar N’est QU’à portée / de nos espoirs les plus fous » avait un caractère défaitiste. Elle amoindrissait l’ampleur du propos et le caractère épique, aussi bien de la musique que du texte. D’où le résultat final.
J’espère en tout cas que cette version française permettra aux spectateurs de davantage « ressentir » la chanson, en lui donnant un sens plus accessible (puisque traduit) tout en surfant sur la musicalité du générique.
3… FIN ! Avec ce thread sur Yamato (que je vous encourage grandement à choper quand la série sortira en France !), je termine mon cycle d’anecdotes de traduction ou, du moins, de ce qui pouvait faire l’objet de ce type d’exposé.
Sachez cependant que j’aime beaucoup parler de traduction en général. Après tout, c’est un sujet passionnant ! Alors n’hésitez pas à me poser des questions, j’y répondrai avec grand plaisir. Y compris si vous vous interrogez sur des trad que j’ai faites, mais pas que. ;)